Ce qui est certain, c'est que Beaune-la-Rolande (jadis Beaune-en-Gâtinais), située en bordure de la grande voie romaine de Sens à Orléans, est une ville très ancienne dont le nom rappellerait le culte de Belenus, une ancienne divinité gauloise (4). On y a fait des découvertes d'antiquités (5) comme dans tout le Gâtinais d'ailleurs.


Le nom même de Pipe vient du bas latin Pipio, sorte d'onomatopée qui signifie petite colombe. Ce nom, qui a pris dans le français moderne une fâcheuse consonance (6), devait être fort gracieux.


Lorsque l'office du saint fut refait vers le début du 18e siècle (7) son prudent rédacteur crut bon de ne tenir compte que des faits essentiels. Il nous en avertit dans une remarquable préface qui figure en tête d'un exemplaire manuscrit de cet office conservé au presbytère de Beaune.
"Il n'y a nul inconvénient de dire selon la tradition locale que saint Pipe est né à Beaune, de parents pauvres, qu'il fait passer sa jeunesse dans des occupations convenables à sa basse naissance, qu'il ait soutenu la vieillesse et la pauvreté de ses parents par le travail de ses mains, qu'après leur mort il ait vécu en solitaire dans son propre pays, qu'il s'y soit appliqué à la prière et à la méditation de l'écriture sainte, que l'odeur de sa vertu et même de quelques miracles l'ait fait connaître à son évêque dans un temps où les évêques cherchaient plutôt les sujets pour les ordonner, que les sujets ne cherchaient les évêques, que cet évêque l'ai élevé au diaconat quoiqu'il n'eût pas d'autre science que celle qu'il avait puisée dans la prière et la lecture des livres saints, qu'il ait été un diacre plein de sagesse et du Saint Esprit... et que, s'étant rendu puissant en oeuvres et en miracles par la grâce qui l'animait, sa mort ait été précieuse devant Dieu et devant les hommes..."


Des faits légendaires, des déformations ont pu se mêler à la vérité, mais l'existence de saint Pipe n'est pas invraisemblable et nous n'avons pas de raisons de rejeter complètement la tradition locale même si, à des éléments admissibles, elle ajoute des faits plus difficilement acceptables (8).


(4) Soyer. Recherches sur l'origine des noms de lieux du Loiret, tome II Orléans, 1934.
(5) Voir notamment: Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais, tome IV (1862-1867), page 113. Des découvertes fortuites sont faites de temps à autre. Des preuves archéologiques de l'antiquité du culte de saint Pipe se trouvent peut être tout simplement dans la crypte, puisque la tradition locale affirme qu'elle fut creusée par le saint lui-même et qu'il y fut enterré aussitôt après sa mort. Le Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais tome II (1854-1858), séance du 12 janvier 1855, donne une description de l'église et de la crypte à cette époque.
(6) Dès le XVIe siècle on faisait des jeux de mots sur le nom de Pipe (Voir un curieux procès en 1554).
(7) La préface qui se lit en tête d'un exemplaire manuscrit de l'office de saint Pipe conservé au presbytère de Beaune a certainement été rédigé par l'auteur de l'office et peut être écrite de sa main. Une note intercalée dans le texte de cet office donne l'indication suivante: "Monsieur Besnault curé de la Motte-Tilli et cy devant curé de Juranville proche de Beaune est l'auteur des hymnes et de la prose et a fait le latin des leçons du second nocturne à quelque peu de choses près que j'ay ajouté". L'office eut donc deux auteurs. M. Besnault fut curé de la Motte-Tilly de 1708 à 1717 (lettre de Monsieur le Directeur des archives de l'Aube en date du 25 septembre 1963), ce qui fait remonter à ces années la rédaction de l'office. Je crois pouvoir dire que l'office manuscrit a été écrit de la main de l'abbé Carré, qui fut premier vicaire de Beaune de 1715 à 1721 environ d'après les registres paroissiaux. Il n'est d'ailleurs pas aisé de comparer l'écriture appliquée de l'office et celle plus négligée des registres. Cet abbé ne fut-il qu'un simple copiste ou fut-il le second auteur de l'office? Je ne peux répondre à cette question. A cette époque fut curé de Beaune, de 1706 à 1732, l'abbé Pitan, poète de cour du prince de Tingry, celui qui écrivait: Notre illustre princesse -- Vient en dévotion -- Saint Pipe s'intéresse -- A sa protection ... (sur l'abbé Pitan, voir  Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais (1959) et le Courrier du Loiret du 5 septembre 1964; mais l'abbé Pitan était aussi docteur en théologie et il semble avoir eu une sérieuse connaissance des écritures saintes. Il est donc probable qu'il a au moins collaboré à la rédaction de l'office. J'ajoure enfin que les Bollandistes semblent avoir ignoré ce nouvel office et se réfèrent à un office antérieur qui aurait été rédigé en 1554, par Thomas Picard, curé de Beaune et dont je n'ai pas retrouvé le texte.
(8) Parmi ceux, qui sans rejeter complètement le récit traditionnel, ne l'admettent que sous réserves, il faut citer l'abbé Moufflet, dernier curé de Barville, qui fut un historien et un archéologue de qualité. Il pensait que l'existence du saint pourrait, avec plus de vraisemblances, s'être déroulée un peu plus près de nous au temps de saint Martin. Il ne pouvait malheureusement ne produire aucun argument en faveur de cette hypothèse (Voir à ce sujet un passage d'une "Histoire du canton de Beaune" dans Nos clochers, bulletin du doyenné de Beaune, août 1956.