Origines du culte de Saint Pipe

 Il était indispensable, avant d'exposer ce qu'on sait sur les origines du culte de saint Pipe de relater brièvement les évènements de 1554. En effet les pièces du procès sont les documents les plus détaillés que nous possédions sur cette dévotion dans le passé.
Les juges de1554 se reportèrent aux documents qui existaient à cette époque. Il faut dire que les Anglais dans la première moitié du XVe siècle incendièrent l'église de Beaune et que tout ce qu'elle contenait périt. Seules les reliques furent retrouvées. L'absence de documents antérieurs au XVe siècle est donc parfaitement explicable.
Il est intéressant de lire attentivement le début de l'arrêt 1554. On y relève le passage suivant:
"Leu par la Cour... Les tiltres ou collation d'iceux par ordonnance de ladicte cour faictz contenant par motz exprès les dons et bienfaictz par le roi Charles à ladicte église du vingt troisième jour d'octobre mil quatre cens trente neuf faisant specialle et expresse mention du corps et relicquaires dudict saint Pipe et aussy par l'archevesque de Sens diocésain d'icelle église en datte du sixiesme novembre mil quatre cens soixante deux faisant aussy certaine et spécifique mention du corps chef et relicquaire dudit sainct...".
 Donc, en 1554 déjà, les documents les plus anciens qui se pouvaient trouver relativement au culte de saint Pipe ne dataient respectivement que de 1439 et 1462. Une requête adressée en 1724 par le curé et les habitants de Beaune à l'archevêque de Sens pour demander le transfert des reliques ne nous apprend rien de plus.
Le premier de ces deux textes est cité également par Dom Morin (1): "Se trouve une charte du Roy Charles VII par laquelle se voit comme iceluy Roy fit rebastir l'église de Beaune qui avoit esté bruslée par les Anglois..."
Cette charte ne semble pas nous avoir été conservée (2).
L'autre texte est celui de 1462. Il existe bien et se trouve dans la châsse mais, pour une raison inconnue, ce morceau de parchemin a pris depuis longtemps une couleur brune qui le rend presque illisible. Nous en avons cependant une traduction complète faite à l’aide d’une copie ancienne qui était conservée dans la châsse mais qui a disparu à son tour, sans doute parce que, la traduction  faite, on négligea de remettre à sa place la dite copie. Nous devons donc nous contenter de cette traduction faire en 1886 par un vicaire de la paroisse de Beaune (3).
Nous apprenons aussi que le 6 novembre 1462, Louis de Melun, archevêque de Sens, vint en l'église de Beaune, qu'il apprit par le rapport de témoins dignes de foi, que cette église avait été par les Anglais complètement brûlée avec les nombreux objets qu'elle renfermait et qu'avant ces évènements le corps de saint Pipe se trouvait déposé dans une châsse de bois peinte de diverses couleurs, le "chef" du saint se trouvant dans une autre châsse en forme de tête. Après l'incendie, les reliques furent retrouvées sans avoir souffert du feu bien que la châsse de bois fût presque réduite en cendres. Louis de Melun pour encourager les fidèles à relever leur église, accordait des indulgences à ceux qui, en certaines fêtes, la visiteraient et participeraient à sa reconstruction.
Il existe dans la châsse un autre document authentique. Son texte en latin est cette fois bien lisible. Il date du 26 décembre 1470. Le cardinal Jean d'Albi visitant l'église la trouvait encore dans un état de ruine et de désolation et accordait de nouvelles indulgences.
Ces deux textes présentent l'intérêt de confirmer d'une façon certaine que l'église et tout ce qu'elle contenait fut brûlé au XVe siècle par les Anglais et que le culte de saint Pipe était déjà une tradition ancienne et bien établie.
Les témoins de 1554 le rappellent à leur tour. Ils sont unanimes à déclarer qu'on venait à Beaune "de tout temps et d'ancienneté en procession pour prier Dieu pour avoir de leau pour la maintenue des biens de dessus la terre par le moyen intercession prière et oraison de Monsieur Sainct Pipe" (déposition de Symon Guillon). L'un d'eux ajoute: "et pour la guérison des fièbvres" (Jehan Lebeau). Un autre signale qu'il a ouï dire à ses ancêtres que "c'estoit le refuge du pays de Gastinoys" (Estienne Demay).
On ignore pourquoi saint Pipe était invoqué pour la pluie et la guérison des fièvres. Il serait sans doute inutile de chercher une explication savante. Les paysans de la région demandaient à leur saint d'intervenir auprès de Dieu (tous les témoins de 1554 s'expriment ainsi) pour qu'il leur donne ce qu'il leur était le plus nécessaire: la santé et la prospérité des biens de la terre. D'ailleurs on a pu trouver trace d'autres processions faites en d'autres lieux en temps de sècheresse par des paroisses dont certaines étaient assez voisines de Beaune: en 1615, 1719, 1723 et 1728 à Ferrières, 1728 à Beaumont, 1740 à Nemours (4). Suivant la tradition, Beaune, pour avoir de la pluie, allait à Larchant et Larchant à Beaune.
Les processions se réunissaient à la fontaine Saint Pipe dont on faisait boire de l'eau aux malades. On raconte qu'un jour saint Pipe, pris d'une soif ardente en gardant ses troupeaux, fit jaillir d'un coup de sa houlette une fontaine. Un grand nombre de sources sont ainsi rattachées par la légende à la vie des saints ruraux mais les critiques se montrent fort sévères à l'égard de ces traditions (5). On admet généralement que les fontaines de saints étaient déjà vénérées par les païens et qu'aux premiers siècles de l'église elles furent placées sous la protection de saints locaux. D'anciennes habitudes purent, de cette manière, se concilier avec les exigences de la religion nouvelle. Il est possible, mais non certain, que les choses se soient passées ainsi pour la fontaine Saint Pipe et peut-être qu'un jour trouvera t'on dans son voisinage les traces d'une dévotion à une divinité de l'antiquité. On ne pourrait rien en déduire relativement à l'existence du Saint, mais ce serait la preuve indirecte que son culte est très ancien.


(1) Histoire du Gâtinais, réédition de 1883, page 284.
(2) Des recherches faites par le service des Archives nationales n'ont pas permis d'en retrouver trace.
(3) Annales de la Société archéologique et historique de l'Orléanais , Tome IV (1886, page 63). L'acte de 1462 était déjà difficile à lire en 1855 (Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais, tome II (1854-1858), page 113.
(4) Annales de la Société archéologique et historique du Gâtinais 1884, p.191; 1887, p.93; 1911, p.255; 1926, p.218.
(5) "Je respecte sincèrement le lieu de la fontaine de saint Pipe, consacré par le pèlerinage des fidèles, j'estime la foy de ceux qui prennent de cette eau et en font boire aux malades, je n'ay pas de peine à croire que leur foy se trouve souvent récompensée par leur guérison, la chose se passe sous nos yeux mais tout cela n'est pas assez fort pour me faire dire dans un office que saint Pipe étant berger et ayant soif en gardant ses troupeaux fit, d'un coup de houlette, sortir de terre cette fontaine..." (préface de l'office manuscrit).