Le chef


Il a été déjà signalé que, dès le XVe siècle, le "chef"  de saint Pipe était conservé dans un reliquaire en forme de tête. En 1470, le cardinal Jean d'Albi constatait que le corps et la tête du saint reposaient dans deux châsses distinctes. Les témoins de 1554 le confirment: "...et le chef diceluy lequel on porte en procession en une fonteyne que on appelle la fontaine sainct Pipe". (déposition Germain Durand).
On ne sait rien d'autre de ce deuxième reliquaire avant le XVIIe siècle. Le "chef" qui existait avant l'incendie de l'église fut-il détruit dans cet incendie ? L'acte de 1462 n'est pas net sur ce point. Celui de 1515 ne mentionne que la châsse principale. Il semble cependant qu'il existait bien quu début du XVIIe siècle un reliquaire de bois en forme de tête.
En effet, le 6 mars 1646, Georges Casse, curé de Beaune, passait à Paris un marché avec Claude de Villiers, orfèvre, pour la fabrication d' "un chef grand comme nature porté par deux anges à costé dudict chef, au dessobz dudict duquel sera une houleste et une palme croisée le tout porté sur un pied d'estail de bois de poirier noircy avec moulure qui aura huict fasces sur lequel sera mis ornemens légers d'argent, au poitrail duquel chef sera un cristal pour veoir les reliques de Monsieur Sainct Pippe qui sont en ladicte église Sainct Martin de Beaulne et lequel chef sera d'argent " (pièce conservée dans la châsse).
Ce reliquaire, qui coûta 1405 livres, pesait 34 marcs, 7 onces d'argent, c'est-à-dire plus de 8 kilos. C'était donc une importante pièce d'orfèvrerie. Le 5 juin 1649, Georges Casse reconnut l'avoir reçue de Claude de Villiers.
Lorsqu'on déposa le "chef"  dans le trésor de l'église, le 24 octobre 1653, il fut établi un acte, conservé dans la châsse, qui nous apprend que ce reliquaire avait été fait pour recevoir des reliques "qui sont en ladicte esglise de Beaulne en ung chef de bois" dont l'existence avant 1653 est donc prouvée. D'après ce dernier acte, il semble d'ailleurs finalement avait ainsi réalisé son oeuvre: un buste de grandeur nature, avec un "crsital" à la poitrine, porté par deux anges portant une houlette. Au-dessous, deux palmes croisées, le tout sur un piédestal de poirier noirci avec un cartouche d'argent. L'autorisation de procéder à la translation des reliques délivrée le 13 août 1647 par Louis-Henri de Gondrin, archevêque de Sens, ne mentionne, comme précédent reliquaire, qu'une châsse de bois (theca lignea) sans préciser qu'il s'agit d'un "chef". En accordant cette permission, l'archevêque demanda que lui fut réservée une partie des reliques. On fit donc un petit paquet à son intention mais il ne fut jamais remis à l'archevêque et se trouve encore dans la châsse.
La translation définitive fut faite le 28 octobre 1653. Un texte latin conservé dans la chasse semble établir qu'il y eut déjà une translation le 7 octobre 1649. Peut-être ce texte rédigé par l'abbé Casse ne fut-il qu'un projet pour la plaque d'argent qui devait être déposée dans le reliquaire ou fixée à lui. Il se peut encore qu'il y ait réellement eu deux translations. En effet, l'acte du 24 octobre 1653, en donnant le poids du reliquaire, soit 34 marcs 7 onces, précise "non compris 3 onces 5 gros et demy d'argent employé à une virolle qui a esté mise à lun desdicts anges poir le resouder qui cestoict rompu". Il pourrait donc y avoir eu une première translation en 1649 et une seconde en 1653 après la réparation du reliquaire.
Je ne sais pas ce qu'est devenu le buste d'argent et n'en ai pas trouvé de mention postérieure à 1653. A-t-il été fondu au moment de la Révolution? Un buste de bois conservé au presbytère ne semble avoir aucune parenté avec lui. Ce buste qui aurait été restauré sur l'ordre de l'abbé Boubault, curé de 1885 à 1902 (1) est recouvert d'une épaisse couche d'enduit et de peinture qui ne permet pas d'en apprécier l'âge.
Il reste peut-être dans la châsse des vestiges du chef d'argent. En effet, lorsqu'on l'ouvrit en 1954 on y trouva, entre autres, un petit reliquaire ovale en métal blanc, muni d'une glace et contenant dans un morceau de parchemin sur lequel est écrit "Relique du chef Monsieur Saint Pipe" , un morceau de mâchoire. Ce petit reliquaire ne s'adapte pas au buste actuel qui porte à sa base une petite cavité rectangulaire où a été placée, en 1954, une relique.
En outre, la châsse conservée dans l'église, renferme une petite châsse d'étain contenant des fragments de crâne. Une inscription latine assez longue datée de 1653 y est gravée. Elle nous apprend que cette petite châsse contient une parie de la tête de saint Pipe --pars capitis sancti Pipionis. On croit comprendre qu'il s'agit des reliques qui furent placées dans le buste d'argent. La petite châsse est assez grossièrement faite et ne semble pas avoir été destinée à être vue. On peut donc supposer qu'elle se trouvait à l'intérieur du buste, seul un fragment étant visible dans un petit médaillon. Donc la petite châsse d'étain et le petit médaillon pourraient être les derniers vestiges du chef d'argent de Georges Casse.
Actuellement, il ne reste plus d'autres reliques du crâne de saint Pipe que les fragments qui se trouvent, avec les autres reliques dans la châsse de 1726.

 


(1) Manuscrit de l'abbé Berton