Le voyage était difficile et exigeait des équipages particulièrement robustes, adroits et expérimentés (1).Le lit de la rivière était inégal; on y trouvait des creux et des "assecq". Le niveau n'était pas constant. Des moulins la jalonnaient et les retenues formaient des plans d'eau faciles à suivre, suivies brusquement de parties où ne coulaient parfois que de minces nappes d'eau. Entre les biefs supérieurs et inférieurs ainsi formés, des embryons d'écluse, étroits chenaux pourvus d'une tête et parfois d'amorces de bajoyers (2), assuraient la communication. Ils étaient fermés du côté de l'amont, par des "bouchures" spéciales, qu'il fallait manœuvrer pour les ouvrir. Dès l'ouverture de ces bouchures, l'eau d'amont se précipitait en flot, entraînant vivement les bateaux amenés à l'entrée du chenal. Cette descente rapide et dangereuse exigeait des nautoniers (3), sang-froid, adresse, rapidité pour éviter de fracasser le bateau contre les pans de maçonnerie, les pieux ou les "cossons", les pierres ou autres obstacles qui encombraient le lit, et où les bateaux couraient le risque de se blesser. On appelait pertuis, ces chenaux de passage (4); il y en avait 28 avant d'arriver en Seine.

    Tout l'art du voiturier consistait à franchir ces pertuis sans dommage et à en sortir indemne. Il arrivait quelquefois que certains s'y perdaient corps et biens. Il s'avérait souvent nécessaire de débarquer passagers et marchandises en amont du barrage et recharger en aval. Alors que deux haleurs suffisaient pour tracter à bras le bateau de Briare à Montargis, il en fallait deux supplémentaires pour assurer la traction sur la rivière. Les bateliers montargois, formés à cette rude école et par une longue expérience y parvenaient la plupart du temps et leur adresse avait assuré la réputation du port d'où ils partaient.

    Toutes ces difficultés font que, protestations et plaintes arrivent de plus en plus à l'Hôtel de Ville à Paris. Le Prévôt des marchands s'en émeut, lui, responsable du ravitaillement de la capitale.

    Il requiert Thomas Guyon, Conseiller du Roi, prévôt et juge ordinaire civil et criminel de la Prévôté royale de Montargis, d'avoir à examiner la situation de la rivière de Montargis à Moret et de recueillir les doléances des usagers du Loing. Le 16 juillet 1666, l'information est ouverte.

    Observations, griefs et désirs sont exprimés, avec justesse, par les compagnons de rivière et les marchands voituriers. Ils dénoncent tous les périls courus par les bateaux et leurs cargaisons, le manque d'eau, les épaves, débris de pieux, graviers amoncelés, mauvaises berges... Ils citent les redevances exagérées, réclamées par des meuniers qui ne craignent pas de retenir les cargaisons en non-paiement de l'indemnité qui leur est due; lors du passage du bateau, le moulin doit s'arrêter faute d'eau. L'eau nécessaire à l'un, manque à l'autre, causant ainsi un préjudice réparable en argent.

 

Cliquez sur l'image pour l'agrandir (85 k)

Plan du pertuis de la Retournée
au 18ème siècle

(cliquer sur l'image pour l'agrandir 85 k )

 

Cliquez sur l'image pour l'agrandir (527 k)

feuille 11 de la carte particulière du canal de loing
Plan établi vers 1702 pour la construction du canal
Partie intéressant Nargis
(cliquer sur l'image pour l'agrandir 527 k )

 

 


(1) La marine de Loing par Henri Perruchot - Bibliothèque Durzy - Cote L 2571

(2) Chacun des massifs en maçonnerie qui forme la partie latérale d'une chambre d'écluse.

(3) Conducteurs de barques.

(4) Voir ci-dessus le plan du pertuis de Retourné - année 1784.Archives départementales du Loiret - Série C. Sup. 261.