Cette action fut suivie dans sa famille de regrets infinis, de pleurs, de fâcheries, de menaces de ne la voir jamais, de ne luy rien donner. Monsieur son frère vint menacer le monastère, mais la généreuse prétendante s'offrit d'être plutôt sœur converse que de sortir.

Sitôt qu'on vit son courage et sa vocation, on ne douta point que son entrée ne fut un effect des prières qu'on avait faites à Dieu par l'intercession de Saint François de Paule, et l'on projeta de luy faire porter son nom, ce qu'elle accepta très volontiers à sa vêture.

L'attrait à l'Enfance Evangélique qui l'avoit obligé de fuir le monde, fut l'âme de sa conduite pendant son noviciat, et même toute sa vie.

On ne pouvoit rien de plus soumis aux supérieures que son esprit, rien de plus humble que ses actions, rien de plus ardent pour Dieu que son cœur, rien de plus assidu que le soin qu'elle avoit d'imiter les vertus d'autruy et d'augmenter les siennes. Son oraison étoit fervente, éclairée, et tendant toujours au profit spirituel. Elle étoit si attentive à cet avancement spirituel qu'elle ne manquoit pas à l'examen général et particulier. Son zèle pour l'institut étoit grand, sa lumière et sa piété l'en rendoient très capable.

Son activité dans le travail a excédé ses forces et a ravy ce bon sujet au monastère. On a préjugé qu'en voulant s'efforcer de porter un fardeau trop lourd, il s'étoit rompu une de ses cottes. Elle sentit de grandes douleurs, mais elle les porta entre Dieu et elle sans en rien faire paroitre.

Sa maîtresse qui voyoit bien qu'elle souffroit, l'obligea de luy en faire l'aveu; elle le fit sans rien dire de l'accident qui en étoit la cause, en sorte qu'on crut que c'étoit quelque rhumatisse ordinaire qui auroit son cours.

On luy fit quelques remèdes en secret pour empêcher que l'indisposition du corps ne priva pas la Maison d'un si bon esprit. On l'employa aux claces (1) et autres obédiances; elle fait bien partout et occupe le reste de son temps en prières et en lectures.

La bonté de sa vocation se signale dans ses préparations à la sainte proffession, dans le désir et la détermination de faire son sacrifice, quoy que le monde, la nature et le raisonnement humain s'y opposassent à cause des guerres.


A la veille de voir sortir les religieuses du monastère (2) , et par raport à sa délicatesse, néanmoins sa générosité surmonte tout. Elle fait sa confession générale au Révérend Père François de la Gouelle, supérieur des Pères Barnabites de Montargis, qui receut ses voeux à sa proffession et offrit à Dieu, cette fervente victime le 29 ème février 1652.

Le mois suivant, il falut sortir avec les autres; elle en prit occasion de louer Dieu de se trouver proffesse dans cet événement. Ses douleurs ne la quittoient point quelque part où elle fut. Après le retour des religieuses en leur maison, on s'aperçeut que la sœur Saint-François de Paule rapetissoit à veue d'oeil, ce qu'elle souffroit sans se plaindre.

Un jour, une sœur luy demanda si elle ne s'en apercevait pas; elle luy dit confidemment qu'elle sentoit que sa taille se gatoit. On l'obligea de le montrer à une sœur qui s'entendoit aux malades, mais elle en fut si fort surprise qu'elle dit à la supérieure qu'il faloit la faire voir au chirurgien ou médecin, et qu'elle ne vouloit pas prononcer sur ce sujet.

Lors que ces Messieurs virent le dos de cette pauvre souffrante, ils n'en furent pas moins étonnez que la sœur; ils jugèrent l'épine du dos absolument défilée, des cottes dérangées, une cassée, et le mal sans presque de remède parce que la tumeur commençoit à s'y apercevoir.

La malade après avoir soutenu quelques remèdes, pria qu'on la laissa un peu retourner dans le commun, désirant se disposer à la mort par la pratique de ses Règles autant qu'elle pouroit. Elle fit à cette fin les exercices spirituels, s'exerçant si efficassement à la conformité, au bon plaisir de Dieu, qu'elle receut très vertueusement et constamment la nouvelle de la mort de Monsieur son Père, et se disposoit à la sienne qui n'était pas bien éloignée.

 


(1) Classes.
(2) Période de la Fronde ; Soulèvement contre Mazarin pendant la minorité de Louis XIV. Les religieuses quittaient alors le monastère situé à l'extérieur de la ville ( ancien hôpital de Montargis, rue Jean Jaurès ) pour se mettre à l'abri des murailles.