Mais la farce continue. L'avion transporte dans ses soutes des lingots d'or destinés à la Banque de France ! Impossible de laisser tout cela dans l'avion. On décharge donc la cargaison - je reverrai longtemps le coup d'oeil inquiet du premier moghazni qui a essayé d'enlever une caissette dont le poids le surprend véritablement - et on transporte le tout au bordj de l'Annexe, où une cellule est transformée en chambre forte devant laquelle deux moghazni montent la garde en armes.


Le jour s'est enfin levé. Le soleil brille dans un ciel sans nuage quand arrivent les ordres de la Direction de l'Aéronautique civile : en raison de l'exiguïté de la piste d'envol, l'avion de pourra décoller qu'avec ses passagers ou son fret, mais pas les deux ensemble. Il faut délester l'avion pour éviter une catastrophe au décollage.


Les discussions n'en finissent pas ! Le Haut commissaire de France au Cameroun intervient : il doit être à Paris sans délai pour une réunion importante. Priorité sera donc donnée aux passagers dès que les mécaniciens auront remis les moteurs en état avec le concours d'une équipe venue d'Alger par avion spécial.


L'or attendra donc un autre appareil et, en début d'après-midi, les passagers regagnent le bord, toutes les équipes de sécurité au sol étant en bordure du terrain, prêtes à intervenir.
L'avion est en bout de piste, à l'extrême limite. Point fixe. Les moteurs grondent (je pense que jamais le pilote n'a dû les pousser aussi loin), les hélices soulèvent un tourbillon de sable, l'avion roule... roule... et décolle aux 3/4 de la piste. Ouf! Nous avons eu chaud et nous nous retrouvons à l'hôtel de la SATT devant un cordial fort apprécié, pendant que le DC-4 disparaît à l'horizon, suivi à la radio par l'équipe S.T.S. d'El-Goléa.


Le lendemain, un DC-3 se pose, venant d'Alger. L'équipage accompagne un représentant de la Banque de France. Ils viennent chercher notre stock d'or. Tout va bien. Et les caissettes si lourdes sont transférées dans l'appareil.


Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Les papiers officiels de transport ont été oubliés à Alger et le chef de poste doit se contenter d'une décharge sur papier libre. Il est vrai que nous connaissons tous les membres de l'équipage, ce qui nous rassure. Et le DC-3 s'envole avec ses 1 500 kg d'or en direction d'Alger.
Dans la soirée, coup de tonnerre ! Un télégramme officiel d'Alger demande des nouvelles de la précieuse cargaison... qui a quitté El-Goléa depuis midi et devrait être à Alger depuis longtemps... et qui n'est toujours pas arrivée !
Nous nous regardons, inquiets tout de même, surtout le capitaine chef de poste. Et nous faisons mille suppositions.
La radio crépite. Alger répond : toujours rien. Ouargla répond : pas vu d'avion. Laghouat pas davantage. Djelfa confirme. L'inquiétude grandit. Il est cependant impensable de voir disparaître ainsi une tonne et demie d'or... quand Ouargla appelle à nouveau.
Ouf! Le DC-3, en difficultés de moteur, a dû faire un atterrissage de fortune sur une piste abandonnée, à quelque distance d'Ouargla. La radio en panne... un des membres de l'équipage s'est vu obligé de partir à pied pour donner l'alerte! Tout va bien. L'avion-coffre-fort est retrouvé, sous bonne garde, et notre trésor parviendra enfin à Alger le surlendemain, repris par un troisième appareil qui, lui, n'a pas eu de panne ! Mais quelle odyssée. Elle fera les belles soirées d'El-Goléa pendant longtemps, chacun imaginant et brodant, et si... et si...
 

Capitaine Sartin et notables musulmans