Là-haut, tout va bien ou presque. Un de mes enfants, malade, arrose un peu partout et se souille abondamment. Mais voici Ouargla, la première étape. Tout le monde descend.


Et les mouches partent à l'assaut de ma femme tenant le bébé dans les bras. C'est un véritable nuage : mère et enfant disparaissent sous l'essaim vrombissant. Les passagers et l'équipage se dirigent vers le bar de l'escale car il est l'heure de déjeuner, laissant ma femme avec les 5 enfants qui contestent. Toilette de la malade, biberon de la dernière, à boire aux uns, biscuits aux autres et la malade, reprise de diarrhée, détruit en un clin d'oeil tout le ravalement précédent. Il faut recommencer, ouvrir les valises, laver l'enfant, la changer... et tout le monde rembarque, le ventre creux.


Et si ma femme pleure dans mes bras sur l'aérodrome d'El-Goléa, la joie des retrouvailles se mêle à une fatigue bien compréhensible et à la sensation d'en avoir enfin fini. Mais ce premier voyage restera dans sa mémoire.


Un autre avion me revient en mémoire, à cette évocation de voyages extravagants.
En février 1951, le temps était maussade et froid, et les palmiers étaient secoués par des rafales de pluie. La nuit était tombée sous le ciel inclément et tout dormait dans la palmeraie, les habitants soigneusement calfeutrés dans les maisons.


Deux heures du matin. L'orage gronde... et quelqu'un frappe à ma porte : "Si toubib", alerte au terrain d'aviation!
"Plan d'urgence" me crie un moghazni qui repart, sans attendre de réponse, prévenir d'autres personnes.
J'écoute et, entre les grondements de l'orage, j'entends le vrombissement d'un avion qui semble tourner au-dessus de la palmeraie.


Je m'habille, je file à l'infirmerie, y récupère tout le matériel de premier secours ainsi que mon fidèle infirmier El Yazid, et nous voici partis au terrain où, déjà, on devine des lueurs. Le chef d'aérodrome essaie d'allumer ses fameuses lampes "gouzenech". Il y arrive, mais ne peut en garder plus d'une allumée à la fois. La pluie et le vent ont raison de son acharnement et de sa boîte d'allumettes : il renonce.


La situation est critique. Là-haut, un DC-4 de l'U.T.A. tourne en rond, épuisant son carburant en attendant que nous soyions prêts à l'accueillir. L'avion est bourré de passagers qui arrivent de Brazzaville, dont le Haut commissaire de France au Cameroun. Des ennuis de moteurs (fuite d'huile) ont retardé l'appareil. En essayant de gagner Alger, au-dessus de l'Atlas, la foudre a endommagé un autre moteur. Il n'est plus question de continuer et Aoulef, la grande base saharienne, ne répond pas aux appels radio du navigant. Il faut que l'avion se pose quelque part et El-Goléa seul a entendu ses appels de détresse. La piste, en bordure de l'erg, n'est pas fameuse, envahie par le sable à certains endroits et de toutes façons trop courte (en principe) pour un DC-4. En outre le balisage de nuit ne veut pas fonctionner alors que l'appareil ne doit pas perdre un mètre de piste pour se poser !
Je file en Jeep... en bout de piste, dans l'axe et mes lumières "en code".
Le chef de l'aérodrome se place à l'entrée de la piste, là-bas, en face de ma Jeep, éclairant "pleins phares".
Et nous attendons. L'avion descend. Nous distinguons ses feux de position. Il paraît être bien dans l'axe. Il frôle au passage la voiture du chef de l'aérodrome, et se pose comme à la parade. Je l'attends, moteur en route, tous mes infirmiers et les volontaires prêts à bondir. Nous suivons sa course, anxieux, attendant la catastrophe. Et rien ne se produit. L'avion s'arrête doucement, à 100 mètres de moi. Je le salue d'un "code-phare" où passe toute mon angoisse contenue et ma joie. Et je rejoins le parking où l'appareil s'arrête enfin.


L'aérodrome ne possède évidemment pas d'échelle adéquate et les passagers, persuadés d'être à Alger (les hôtesses n'ont rien dit de la situation) doivent descendre... au moyen d'une corde à noeuds ! Tous grelottent dans leurs vêtements ultra-légers, la plupart en short et chemisette. A mesure de leur arrivée à terre, nous leurs prêtons des couvertures et un camion les conduit à l'hôtel SATT où des boissons chaudes les attendent. Puis, tant bien que mal, chacun trouve un lit pendant que la radio crépite, annonçant à Alger la fin du cauchemar.