De 1949 à 1956, le rôle de l'aviation au Sahara relève
souvent de l'épopée et parfois de la tragicomédie. En écrire l'histoire
n'est pas mon but, mais j'ai souvenance de quelques anecdotes savoureuses
qui montrent le chemin accompli depuis une époque encore toute récente.
Les voyages, au Sahara, se font habituellement par piste et le camion est
longtemps demeuré le bus du désert. Mais, pour les gens pressés, l'avion
offrait déjà, en 1950, un moyen plus rapide et souvent aussi pittoresque.
La S.A.T.T. (Société Algérienne de Transports Tropicaux) assurait une
ligne aérienne de Nice à Pointe Noire (Congo), via Alger, El-Goléa,
Tamanrasset et Kano. Mais ces étapes n'avaient rien d'obligatoire, n'étant
assurées qu'à la demande et nous voyions souvent le bimoteur Lockeed
passer sans s'arrêter, ayant fait le plein de passagers au-delà
d'El-Goléa. Par contre, un incident technique ou météorologique pouvait
contraindre les passagers à une étape non prévue.
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Un détail important : en dehors d'Aoulef, aucun des
terrains sahariens n'était balisé pour l'atterrissage de nuit. En cas
d'absolue nécessité, il était cependant possible d'obtenir l'éclairage de
la piste au moyen de lampes à pétrole baptisées "gouznek" (gooseneck
en anglais, terme utilisé pour certaines lampes dont le col, articulé,
pouvait ressembler à celui d'une oie).
Les militaires de leur côté, au moyen de Junkers 52 trimoteurs datant de
1940, assuraient des "rotations" : une, dite du Grand Erg
occidental, l'autre du Grand Erg oriental, à raison d'une rotation
mensuelle, dont le sens giratoire changeait à chaque fois pour que chaque
oasis ait les mêmes chances que les autres d'être desservies.
Ces rotations apportaient des denrées périssables et des passagers, en
général des Sahariens.
C'est ainsi que ma famille, ma femme et cinq enfants (la dernière-née
avait quelques mois), m'a rejoint à El-Goléa, où je m'étais d'abord rendu
seul en 1950.
La famille, venant de Tlemcen par le train, après deux jours d'attente à
l'hôtel à Alger, arrive enfin sur l'aérodrome de Maison-Blanche et
embarque dans ce bon JU 52. Finies les tracasseries, croyez-vous? Elles
ne faisaient en fait que commencer. |
Tout le monde à bord, tant bien que mal assis sur une
banquette où chacun doit se cramponner pour ne pas glisser à la queue de
l'avion... et l'orage éclate, mêlant ses grondements au bruit des trois
moteurs bientôt arrêtés, il n'est pas question de décoller par ce
temps-là... et la pluie s'infiltre dans la carlingue en une quantité de
gouttières insidieuses : l'une d'elles ruisselle sur le képi d'un officier
que ma femme couvre d'une alèze caoutchoutée. La radio ne fonctionne plus
à bord. Il faut attendre. La réparation de la radio se fait et tout
doucement le bon vieux Junker entame une ascension pénible et circulaire
qui lui permet d'atteindre une altitude suffisante pour franchir la
montagne qui surplombe Alger. Les JU 52, de fabrication allemande, étaient
remarquablement surs, mais limités dans le poids transportable et en
altitude, problème qui ne se posait pas dans les plaines européennes, mais
qui en était certainement un pour le franchissement de l'Atlas. Il
arrivait que, trop chargé, ou moteurs mal réglés, le JU dusse se poser
faute de pouvoir prendre assez d'altitude. Alors, on revoyait le
carburateur, on enlevait un peu de fret... et on faisait un nouvel essai !
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