J'ai appris, dans les jours suivants, qu'ils étaient
originaires de Java où ils avaient subi l'occupation japonaise, été
internés dans un camp de concentration, soumis à quelques sévices
injustifiés. Puis ils avaient rejoint leur mère-patrie après la défaite
japonaise. Mais ils n'avaient pu se "réacclimater" aux Pays-Bas.
Ils était donc en route pour le Canada, via l'Afrique du Sud, l'Australie,
le Chili, pour remonter vers l'Amérique du Nord, travaillant à chaque
étape, chacun selon ses capacités, subventionnés en partie par une
compagnie aérienne, une marque néerlandaise de liqueurs, une entreprise de
rechapage de pneumatiques (leurs véhicules en étaient équipés), sans
compter quelques petites autres choses allant de la photographie au
magnétophone, en passant par les armes à feu ou les talkies-walkies. Ils
faisaient, en autres choses, des conférences, des projections
cinématographiques, ou travaillaient simplement comme barman, mécanicien,
soudeurs, suivant les possibilités locales. En somme, ils formaient une
équipe homogène, capable de tout pour gagner l'argent nécessaire à leur
voyage de 18 ou 20 mois.
Nous prenions nos repas en commun... du moins à la même table, échangeant
parfois des échantillons de nos cuisines différentes. Et puis, nous avons
fini par faire "popote commune".
A cette époque, ma femme devait se rendre à Alger pour une intervention
chirurgicale nettement au-dessus de mes capacités.
Eh bien, nos nouveaux amis n'ont jamais accepté de reprendre leur voyage
en me laissant seul avec mes enfants. Leur blessé avait pourtant bien
récupéré et était très capable de reprendre sa place dans l'équipe.
Pendant un mois, les hommes ont "bricolé" de ci, de là pour
augmenter leur pécule. La jeune femme s'est transformée en "nurse"
bénévole, bien sûr. Ils n'ont consenti à reprendre leur randonnée qu'après
le retour de ma femme, nous laissant quelques menus souvenirs et une
caricature de leurs deux véhicules cabossés, signée des cinq voyageurs
avec cette simple phrase "avec encore beaucoup merci!". Cinq car
ils avaient été rejoints par un journaliste italien, à scooter, qui leur
servait d'éclaireur en liaison radio avec les véhicules, leur signalant
les embûches de la piste.
J'ignore ce que sont devenus ces sympathiques "globe-trotters". De
Johannesburg j'ai reçu une carte postale charmante. signalant leur
passage. Et puis... plus rien ! Mais je suis certain qu'ils ont réussi à
gagner le Canada et là-bas, du côté du Québec, en ce moment même,
peut-être y a-t-il quatre hollandais qui rêvent de leur séjour à El-Goléa.
Comme je voudrais, à mon tour, pouvoir leur dire "avec encore beaucoup
merci ! ".
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