L'HISTOIRE D'UNE VIEILLE MAISON

 

La maison date de 1756. Elle fut construite sur un terrain occupé par un des premiers colons Antoine Desrosiers. Une concession lui avait été alors concédée le 2 juin 1650 par le gouverneur d’Aillebout. Ce terrain était situé à l’intérieur de l’enceinte fortifiée destinée à protéger les colons des attaques sournoises des Indiens. L‘emplacement fut vendu en 1657 à Michel Godefroy de Linctot qui l’accorda à sa fille Marie-Thérèse, en dot, lors de son mariage le 9 octobre 1691 avec Jacques Hertel de Cournoyer. Au décès de son épouse, Cournoyer conserve le bien jusqu'à son décès le 4 septembre 1748.

Un document de 1749 énumère les bâtisses qui s’élevaient sur le terrain à cette époque : « une maison de bois de la longueur dudit emplacement sur la rue Notre-Dame, de 21 pieds de large y joint une aile sur le niveau de la rue Saint-François-Xavier de 27 pieds de long sur 14pieds de large ; un fourny de 17 pieds de long sur 14 pieds de large à iceluy un four et une cave ; un hangard et autres petits bâtiments y annexés ».

Hertel de Rouville ne garda que deux ans l’emplacement qu’il avait acheté de la succession Cournoyer. Il le revend le 31 août 1751 au menuisier Jean-Baptiste Bériaux et à son épouse Catherine Picard qui le cèdent à leur tour le 12 juin 1754 à Georges de Gannes aide-major de la ville de Trois-Rivières. La transaction s’élève à 855 livres.

Une élégante société évoluait dans la capitale du gouvernement de Trois-Rivières au cours des années qui ont précédé et accompagné les événements de la guerre de Sept ans. Frivole, un peu insouciante même, suivant en cela l’exemple contagieux des villes de Montréal et de Québec, puisque les mêmes officiers, au hasard des mutations de postes officiels, transportaient d’un endroit à un autre leurs habitudes, leurs goûts, leurs tempéraments, leurs blessures de guerre, leurs mécontentements et leurs espoirs perpétuels d’une promotion.

Depuis des années, l’aspect physique de Trois-Rivières n’avait pas beaucoup changé.. En 1721, Charlevoix, voyageur suédois écrit : « Trois-Rivières est une petite ville de marché ayant toute l’apparence d’un grand village (1). Elle est cependant comptée au nombre des trois grandes villes du Canada qui sont Québec, Montréal et Trois-Rivières. Elle est bâtie au sommet d’un plateau sablonneux et occupe un site des plus agréables entre la rivière (2) qui coule à ses pieds et dont le lit a, en cet endroit, une largeur d’un mille et demi, et de beaux champs de blé qui paraissent très fertiles, quoique le sol contienne beaucoup de sable.
« Ses principaux édifices sont deux églises en pierre, un couvent d’Ursulines et un collège sous la direction des Frères de l’ordre de Saint-François, et la maison, aussi en pierre du gouverneur... La plupart des maisons sont en bois, à un seul étage, assez bien bâties , et très éloignées les unes des autres. Les rues sont tortueuses. La côte ici est composée de sable et s’élève très haut. Lorsque le vent est violent, il balaye le sable et le porte jusque dans les rues, ce qui rend la marche très fatigante. Les Soeurs du couvent, qui sont au nombre de 22, passent pour être très adroites en toutes sortes d’ouvrages à l’aiguille ».
 
Les mutations de postes dans les gouvernements des trois villes amenaient à Trois-Rivières des figures nouvelles, et les promotions faisaient revenir d’anciens fonctionnaires aux noms prestigieux. En 1749, les Trifluviens virent avec satisfaction accéder au poste de gouverneur Pierre-François Rigaud de Vaudreuil, qui avait été de 1741 à 1748 major de leur gouvernement. Le poste de major n’était pas des plus enviés, et au surplus était fort peu lucratif. « La place n’est pas fort briguée et peu la demandent » écrivait M. de Beauharnois. Rigaud de Vaudreuil languissait dans cet emploi, qui n’était certes pas à la hauteur de son mérite. Il se vengeait en gagnant des batailles. En 1748, une petite promotion lui est accordée : il est nommé lieutenant du roi à Québec. Et en 1749 les Trifluviens apprennent avec joie qu’il revient dans leur ville avec le titre de gouverneur, car ils avaient toujours apprécié et aimé « cet homme de guerre et de condition, aux mœurs douces ».
 


(1) En 1751, la population variait entre 400 et 500 âmes. Le recensement de 1754 donne à Trois-Rivières et aux Forges Saint-Maurice une population de 800 âmes. En 1974, on dénombre 57.500 habitants.
(2) Trois-Rivières est située au confluent du Saint-Laurent et du Saint-Maurice.