LE RETOUR AU PAYS

 

Georges de Gannes avait fait construire sa maison à Trois-Rivières, sur un emplacement avoisinant le monastère des Ursulines. Il espérait y vivre tranquillement au milieu de sa famille. Malheureusement la bataille des plaines d’Abraham (1) allait sceller le sort du Canada, et comme pour tous les hommes de guerre de l’armée française, un destin nouveau se dessinait pour lui et les siens.

Il eut toutefois , avant son départ, une dernière mais bien grande satisfaction. Le Roi, lui accordait la Croix de Saint-Louis, le 8 février 1760.

De l’été 1760 à l’automne 1761, il séjourne dans sa ville et partage le sort de ses concitoyens vaincus. Il assiste aux débuts de la domination anglaise, et a le douloureux privilège, d’être témoin du changement d’allégeance des Trifluviens. Le 22 septembre 1760, le colonel Ralph Burton, nouveau gouverneur, fait porter connaissance à tous l’ordonnance suivante : « Ordre à M. Laframboise, capitaine, de faire rassembler les habitants pour leur faire mettre bas les armes et prêter le serment de fidélité.
« Il vous est ordonné de la part du docteur Burton, gouverneur des Trois-Rivières, de faire avertir, Messieurs les gentilshommes et autres personnes habitant cette ville des Trois-Rivières, non incorporés dans le rôle des milices, de se rendre avec leurs armes dans le parloir des Récollets de cette ville demain matin à 9 heures, pour y prêter le serment de fidélité et de soumission dû à sa Majesté Georges second ».



Or, le domicile de Georges de Gannes était situé en face du couvent des Récollets, et sans doute vit-il, de sa fenêtre, défiler les Trifluviens, la plupart des figures connues, aller déposer leurs armes et prêter le serment d’allégeance au monarque vainqueur. Sans doute aussi les autres officiers de l’armée française se réunissaient-ils chez lui, épiant les gestes des occupants, espérant toujours que le Canada pourrait, d’un jour à l’autre, redevenir colonie française. Car la capitulation, dans l’esprit de chacun, n’était que temporaire. Et les officiers des troupes, principalement ceux qui étaient mariés et avaient une famille, ne tenaient pas à rentrer en France.

Pourtant, il fallut se résoudre à l’inévitable. Le 14 août 1761, Burton fit afficher l’ordre suivant : "Messieurs les officiers français résidant actuellement dans la ville et gouvernement des Trois-Rivières, qui sont restés dans cette colonie pour arranger leurs affaires, suivant les termes de la capitulation du 8 septembre 1760, et dont les congés à cet effet sont sur le point d’expirer, sont avertis et priés d’envoyer au Secrétariat des Trois-Rivières, leurs noms et le nombre de personnes qu’ils se proposent d’emmener en France... "

Il n’y avait donc plus d’espoir immédiat, et il fallait préparer le départ. Les derniers titulaires des principales fonctions officielles étaient Le Moyne de Longueuil, gouverneur, Nicolas-Joseph Fleurimont de Noyelles, lieutenant de roi, Charles de Sabrevois, major et Georges de Gannes, aide major. Tous s’embarquèrent pour la France à l’automne de 1761.

Marie-Françoise, épouse de Georges de Gannes, et ses deux enfants survivants, restèrent au pays. Le 22 septembre 1761, son mari lui signait une procuration lui permettant de gérer ses affaires pendant son absence. Comme bien d’autres il pensait revenir. Il fallut enfin se rendre à l’évidence et le 16 août 1764, Madame de Gannes vendait à Mademoiselle Marie Gastineau-Duplessis sa maison de Trois-Rivières et allait avec ses deux enfants, retrouver son mari.

 


(1) Plateau dominant le Saint-Laurent près de Québec. Les Anglais y remportèrent une victoire sur les troupes françaises le 13 septembre 1759.