C’est à cette époque que Georges de Gannes eut la douleur de perdre son frère Jean, officier comme lui, qui faisait partie du détachement de Louis Coulon de Villiers, et avait pris part aux combats précédents sous la direction de ce brillant militaire. Divers mémoires de l’époque signalent la perte de cet humble officier, mais il est toujours mentionné comme M. de Gannes, sans indication de prénom. Ainsi le chevalier de la Pause note que du commencement de juin jusqu’au 1er août 1756, un détachement sous les ordres de Monsieur de Villiers se mit en campagne aux alentours de Chouaguen, et qu’il s’appliqua « à faire quelques prisonniers et chevelures, à attaquer un nombre de bateaux qui remontaient, on en prit une trentaine d’hommes, on y perdit un officier appelé M. de Gannes, qui mourut de ses blessures au camp ».


De son côté le marquis de Montcalm écrit dans son journal (1) : « Le 3 juillet, M. de Villiers rencontra un convoi des ennemis de cinq cents bateaux conduit par le lieutenant-colonel Bradstreet qui remontait la rivière de Chouaguen, et il venait de conduire dans cette place des munitions ; il fit quarante prisonniers aux Anglais, et on leur tua une centaine d’hommes. Nous y perdîmes M. de Gannes, aide-major aux Trois-Rivières, deux habitants et deux soldats ». Enfin dans le Journal de l’expédition de M. de Villiers de 1756, après avoir fait le récit de la bataille, il note ceci : « Et quand je fus revenu à nos paquets, je fus surpris de trouver M. de Gannes blessé et autres Français, qui s’étaient tirés d’un bout à l’autre de la rivière un quart de lieue plus bas d’où j’avais traversé. Enfin, j’ai perdu M. de Gannes deux habitants et deux soldats, qui furent faits prisonniers en faisant le pillage ; le feu dura jusqu'à six heures du soir et je me retirai... »

Aucun des textes n’identifie de façon sure de quel officier de Gannes il s’agit. Montcalm précise que c’est l’aide-major des Trois-Rivières, mais il fait erreur. C’est Georges de Gannes lui-même qui nous permet d’identifier cet officier lorsqu’il signale dans le récit de ses états de service « une affaire au-dessus du fort Chouaguen où mon frère a été tué ». Montcalm laisse entendre qu’il fut tué le 3 juillet, mais il vaut mieux prendre comme certaine la date mentionnée par Monsieur de Villiers : le 30 juin.

Ce Jean de Gannes avait été baptisé Jean-Baptiste en 1711 à Dolus. Enrôlé dans les troupes du détachement de la Marine, il vient au Canada en 1737. Nommé enseigne en second en 1741, enseigne en pied en 1745, il fut fait lieutenant le 1er mai 1749. Il avait épousé à Montréal le 7 novembre 1744, Madeleine-Thérèse Bouat, veuve de Louis-Jean Poulain de Courval. Après la mort de Jean, elle continua à vivre à Montréal et, après plusieurs tentatives infructueuses elle fut en 1758, placée sur la liste des pensions, en considération des services militaires rendus par son mari (2).

Même si la bataille de Chouaguen l’avait privé d’un frère, ce dut être quand même avec un sentiment de fierté que Georges de Gannes revint dans sa ville de Trois-Rivières, en même temps que les autres officiers et principalement du gouverneur François-Pierre Trigaud de Vaudreuil, qui s’y était illustré de façon particulière. « Il est à présumer - comme l’écrit le Père Jouve - que les Trifluviens écoutèrent avec une attention soutenue la lecture du mandement épiscopal relatant cette victoire et qu’ils soulignèrent d’un mouvement de tête approbatif cette phrase : L’avant-garde de notre armée était conduite par un de nos gouverneurs que vous respectez et que vous chérissez avec tant de raison ».
 
En 1758, Georges de Gannes est au premier rang des valeureux guerriers qui participèrent à la victoire de Carillon. Dans le mémoire relatant ses états de service, il précise qu’il fut un temps, le major. Le Journal de Bougainville note que le 6 juillet, il était capitaine, ce qui est confirmé par Montcalm, et qu’il avait sous ses ordres 183 autres officiers et soldats.

La célèbre victoire de Carillon eut un retentissement à Trois-Rivières, et comme, pour les succès précédents, on fit monter vers Dieu, dans la petite église paroissiale, les louanges et les remerciements. Il y eut dans la cité trifluvienne, un moment de réjouissance, principalement quand les intrépides guerriers réintégrèrent leurs foyers. Georges de Gannes, aide-major du gouvernement de Trois-Rivières était du nombre.
 


(1) Editions Casgrain, Québec, 1891, p. 179.
(2) Agée de 72 ans, elle se remarie le 25 août 1783, à Montréal, avec Valentin Jautard, rédacteur du journal de Fleury Mesplet. Elle meurt le 3 juillet 1801, âgée de 90 ans, à l’hôpital des Sœurs Grises de Montréal, où elle s’était retirée après la mort de son troisième époux.