Notre grand-père Sochaczewski

 

Magdeleine Moreau (1) rapporte ainsi les souvenirs de son grand-père : « François Saleszy Polycarpe Sochaczewski est né le 26 janvier 1809 à  Vosniki dans le Palatinat de Sandomierz, partie de la Pologne qui, par le traité de Vienne en 1815, a été reconnue Royaume constitutionnel sous le sceptre du Tsar Alexandre 1er, autocrate de la Russie. Comme la plupart des exilés de Pologne, ses parents étaient de condition noble,ayant une grande aisance malgré une famille nombreuse».

 

        Son père Antoine Sochaczewski semble être décédé avant  1830. Sa mère était Maria Szemzawska. Une photographie d'elle nous est parvenue(2) . Elle pourrait avoir vécu à Niort, mais Théona sa petite fille n'en fait qu'une simple allusion.« Le père était mort jeune, mais la mère vivait , elle est morte assez âgée mais nous n'avons jamais pu savoir quand ? ». Trois autres enfants du couple sont connus. Ludwika qui épouse Starvcski et serait restée en Pologne, André décédé en 1831 vers   l'âge de 17 ans et Andrzej Piotr  (Pierre) né en 1813 à Prxytyk dans la région de Sandomierz (3) , « Papa et l'oncle Pierre étaient nés dans une propriété appelée  Vosniki  en Pologne russe ».

Franciszek « après avoir fait avec succès ses études complètes chez les Piaristes », - congrégation religieuse très patriotique - « à Radom, chef-lieu du Palatinat où il était né, pour satisfaire au désir de ses parents qui voulaient  l'avoir près d'eux, essaya pendant un an la carrière administrative dans la Commission de son Palatinat (4) . Mais peu après, par goût ou plutôt par le pressentiment  qu'il faudrait bientôt des soldats pour défendre la liberté de sa nation foulée aux pieds, il embrassa  l'état militaire en s 'engageant en1828 comme volontaire dans le 2ème régiment de chasseurs à cheval, l'un des plus beaux et plus tard,  l'un des plus valeureux du royaume. Avec ce régiment, il fait la première partie de la guerre de l'Indépendance Nationale commencée le 29 novembre 1830. Il appartient au corps du général Dwernicki (5), ce fameux partisan vu à Paris et qu'on a surnommé –le fournisseur de canons de son armée - parce que chargeant avec son petit corps, il a conquis sur l'ennemi, avec une rapidité surprenante, un nombre considérable de canons dans un court espace de temps. C'est à dire que, dès le commencement de la lutte polonaise, Sochaczewski était parmi les braves !... »

« Après les désastres de malheureux corps, Sochaczewski fut interné par les Autrichiens en Transylvanie, royaume de Hongrie. Brûlant toujours de  l'amour de sa Patrie et ne voulant pas rester inactif dans cette captivité, il a su tromper la vigilance des alliés de la Russie et retourner dans son pays. Il contribue de nouveau à la guerre dans le Corps du général Ramorino dont la fin tragique est connue de tout le monde. Avec lui pour la seconde fois il passe la frontière polono - autrichienne en septembre 1831, avec le grade de lieutenant, grade gagné par sa bravoure sur les champs de bataille. Jusqu'en 1836, il demeure secrètement en Galicie - partie de la Pologne soumise par les traités au joug autrichien - . Il prend une part des plus actives à toutes les tentatives entreprises par les patriotes pour rendre l'indépendance à la Pologne. Lors de  l'occupation de la ville libre de Cracovie(6), le 18 février 1836, il est arrêté » . Son frère Pierre qui appartenait au 4ème Régiment de cavalerie subit le même sort.

 

 

« Traîné de prison en prison sous l'escorte des baïonnettes autrichiennes, il est envoyé à Brün (7) , puis à Trieste port de mer autrichien. Enfermé dans la citadelle après son interrogatoire il est embarqué pour être déporté en Amérique avec 107 de ses compatriotes. Tous pendant la traversée réussissent à aborder sur la terre hospitalière de France, à Marseille, en juin 1836 (8). De là, avec 17 de ses compagnons de souffrance, par décision ministérielle, il est envoyé à Privas en Ardèche » .

 

Sa destination en France et sa route sont clairement définies sur son passeport. Il lui est fortement recommandé de ne pas s'écarter de l'itinéraire qu'on lui a fixé à Marseille à savoir Aix, Lambesc, Orgon, Avignon, Valiguières, Uzès ( détour incompréhensible ), Pont Saint-Esprit, Viviers et enfin Privas.

 

« Sur ce premier lieu de séjour en France, Sochaczewski trouve, non seulement une véritable sympathie pour sa nation, mais également des amis avec qui il était toujours en relation. Il y reste jusqu'en l'année 1838, travaillant au bureau des Contributions directes ». Pensant constamment à son pays, on le trouve nommé dans les contrôles du 17 août 1836 comme membre de  l'émigration active,  c'est à dire peu de jours après son arrivée en France ».

 

« De Privas, il obtient du Ministre la permission de transporter son domicile à Poitiers. Guidé par son fervent amour de la Patrie dont  l'espérance transportée sur la terre étrangère avait à cette époque son foyer central d'action en cette ville, siège de la Société Démocratique Polonaise », il arrive dans la capitale poitevine. « On y trouvait là, la partie la plus nombreuse et la plus vivace de  l'émigration, malgré toutes les

difficultés existantes » .

 

    Le 14 mars 1839, François est à Poitiers, puis à Angers en 1840. Deux fois il propose sa candidature aux élections centrales. Il n'obtient que très peu de voix en 1837 et seulement 12 en 1840. Parallèlement son frère suit ce chemin d'intense activité politique. Candidat aux mêmes fonctions électives il recueille 23 voix en  1837, 19 en 1839 et 13 en 1840.

 

En 1836, dès leur arrivée sur le sol français, ils signent le Manifeste de la Société Démocratique  Polonaise; en 1840 on les retrouve co-signataires d'une lettre contre le monarchisme. Leurs prises de position ne semblent pas convenir et le 31 janvier 1840, par décision de la Cour Fraternelle  d'Angers, au motif de non-respect de ses principes, ils sont expulsés de la Société pour une durée de six ans. Membre de  l'Institut Polonais de 1842 à 1846, François pose sa candidature au Comité National Polonais en 1844. Il obtient 1 voix.

« Etabli dès lors à Poitiers, il travaille à nouveau à la Direction des Contributions directes, puis chez le géomètre au chef du département, enfin chez l'agent voyer en chef. A la suite  d'examens professionnels subis, il est admis le 15 novembre 1840 comme piqueur dans le corps des Ponts et Chaussées. Le 1er octobre1841 il est nommé conducteur auxiliaire »

Sa nomination en qualité de conducteur de 3èrne classe le 1er octobre  1841, lui permet de percevoir un traitement annuel de 1000 francs. C'est à compter de cette date qu'il est rayé des contrôles des subsides de la préfecture de le Vienne.

 


(1) Religieuse du Sacré-cœur, petite-fille de François Sochaczewski, qui reçut les notes de Théona.
(2) Photographiée par Jean Strzelecki à Niort.
(3) Renseignement figurant sur un de ses passeports alors que son acte de décès le déclare « natif de la commune de Wosniki Pologne ».
(4) Dans l'ancienne Pologne, le Palatinat est une province gouvernée par un Electeur palatin.
(5) Talleyrand écrit de Londres le 15 juin 1831", « tout le monde ici apprendra avec satisfaction que le gouvernement du roi a employé ses bons offices, le premier en faveur du général Dwernicki et des Polonais qu'il commandait ». Joseph Dwernicki, général polonais né en 1779 fit la plupart des campagnes de l'empire dans les armées françaises et devint colonel en 1814. Il rentra en Pologne en 1815, Général en 1830, il reçut le commandement d'un corps de l'armée insurrectionnelle. D'abord vainqueur et chargé de diriger le soulèvement de Volhynie (région du nord-ouest de l'Ukraine), il finit par être cerné et accablé par le nombre il se retira en Galicie. Le gouvernement autrichien le fit arrêter et traiter en prisonnier de guerre ainsi que ses soldats, Il recouvra la liberté après la fin de la guerre, se retira en France puis se fixa à Lemberg où il mourut en 1859. C'est la conduite du gouvernement autrichien à cette occasion qui avait provoqué l'intervention de la France et de l' Angleterre. (Les Mémoires de Talleyrand. Tome 4).
(6) Cracovie, du fait de son statut particulier de cité-république indépendante, était le dernier refuge des Polonais ayant des tendances nationales.
(7) Certainement Brno en Tchéquie.
(8) Ils semblent être arrivés en France, Pierre le 6 mai 1836, François le 23 mai 1836, (Spis Polakow Zmarlych W Emigracji od Roku 1831). François en particulier avait obtenu à Trieste un passeport délivré le 14 avril 1836 par le Consulat de France suite à l'autorisation accordée par le Ministre des Affaires Etrangères le 24 mars 1836. Dans ce document il est déclaré demeurer à Trieste et se rendre à Marseille par voie de mer. Il a déjà obtenu le « statut » de réfugié polonais. Il embarque le 21 avril 1836. 200 réfugiés de Cracovie avaient pris la direction de Marseille sur 5 navires. Le 2 juillet 1836, il en restait autant au château de Trieste. Ils devaient être embarqués sur la frégate "La Guerrière" à destination exclusive des possessions françaises en Afrique via Toulon. En cas de refus d'être débarqués à Alger, ils devaient être dirigés vers l'Amérique (Lettre du Ministre de l'Intérieur. Référence Archives départementales des Bouches du Rhône- Sous série 1 M).