Après avoir combattu les ennemis de la Patrie elle ne conserva point de ressentiment contre eux, bien au contraire. Rentrée dans ses foyers elle épouse un soldat allemand, prisonnier de guerre à Montargis. Le 16 fructidor de l'an VII de la République, une et indivisible ( 2 septembre 1799 ), Pierre Prévost, officier public de la commune de Montargis, procède au mariage du citoyen Pierre Léonard Bayer, journalier à Puy-la-Laude, âgé de 32 ans, natif de Francfort sur le Main (1) et de la citoyenne Anne Quatsault. Ils s'installent à Montargis, et ouvrent une petite auberge située près de l'église, qu'on désigna sous le nom de l'auberge de la Mère Quatre Sous.

L'invasion de 1814, lui fournit l'occasion de se faire remarquer à nouveau.

Des Bavarois cantonnés à Montargis étaient logés chez l'habitant. L'auberge d'Anne en abritait quatre, qui s'y nourrissaient amplement aux dépens de leur hôtesse, occupation oblige. Un jour que notre aubergiste est seule au logis, les Bavarois enhardis par l'absence du mari, exigent quatre bouteilles de vin. D'un signe, elle leur fait comprendre de donner d'abord la monnaie.
Entrant dans une grande colère, ils menacent verbalement, et voyant le peu d'effet sur Anne, tirent leurs armes de leurs fourreaux. Ils s'élancent sur Anne, pour lui donner des coups de " plat de sabre". Son sang ne faisant qu'un tour, elle s'empare d'un fusil muni de sa baïonnette, retrouve son ardeur d'artilleur, fonce sur ses agresseurs, en blesse deux alors que les deux autres s'enfuient.

Anne est immédiatement convoquée à la Mairie où l'Etat-major qui est en conférence avec le Maire, a été informé des événements. Le commandant du détachement menace de représailles, voire de pillage de la ville si aucune punition n'est infligée à Anne. Le maire inquiet, reproche à Anne, ses penchants pour la violence.
Encore sous l'effet de la colère, elle réplique, ne comprenant pas que l'on puisse subir plus longtemps l'arrogance de l'occupant, et menace de faire sonner le tocsin et de faire se soulever la ville. Le commandant bavarois se fait traduire les propos d'Anne et sourit. Un jeune lieutenant la traite de folle. Anne qui connaissait la langue de par son mari, bondit sur l'officier le soufflette et lui dit: " Toi ! va porter cela à ton capitaine; il te donnera pour boire ".

C'en est fini pour Anne qui voit son salut dans l'arrivée d'une estafette remettant au commandant une dépêche urgente. La lecture faite en allemand fait dire à Anne s'adressant au maire: " Ne craigniez plus rien, ils viennent d'apprendre que les Français vainqueurs à Montereau, se dirigent sur Montargis. Ils ont plus peur que nous et ne tarderont pas à détaler ". Elle avait raison; l'Etat-major ne fait plus attention à eux et organise l'évacuation.

Anne accueille avec bonheur le retour de Napoléon Ier. Mais avec l'exil arrivent les mauvais jours et le règne des Bourbons . Sa pension accordée par la Convention Nationale ne lui est plus payée. Elle réclame; on ne répond pas.

Lasse d'attendre, elle se rend à Paris, sollicite un entretien avec le Ministre de le Guerre. Ce dernier, attentif, aux récits d'Anne est ravi; il la présente à Louis XVIII qui la complimente, lui fait rendre sa pension, avec paiement de l'arriéré. Rentrée chez elle à Montargis, elle y mène une vie paisible. Pierre Bayer décède le 21 septembre 1838. Elle meurt à Montargis le 6 mars 1843.

Telle a été la vie d'Anne Quatsault, soldat de la Révolution et aubergiste rue du Pâtis. Les détails de son histoire sont connus par une brochure écrite par son petit-fils, Jean-Pierre Bayer dit Quatresous, et publiée par l'imprimerie Bernaudin à Evreux.
 


(1) Il était le fils de Georges Bayer, bonnetier et de Catherine Kaiserin.