Après des mutations multiples, en 1945, j'ai fini par
obtenir une dernière mutation en A.F.N. (Afrique du Nord).
Un séjour éclair à Alger, et me voici à Oran... pour quelques semaines
avant de rejoindre Mostaganem :un remplacement pour un collègue en
permission en métropole... Mon séjour s'y prolonge plus longtemps que
prévu : mon collègue n'est pas "rentré" à la date voulue... et purge une
peine d'arrêts de rigueur à l'hôpital d'Oran.
Ma famille m'y rejoint un beau jour et nous partons pour Marnia où je suis
affecté, à la frontière algéro-marocaine... une petite garnison (une
compagnie de tirailleurs algériens) et un petit hôpital mixte (hôpital
militaire accueillant les civils, éventuellement). Quelques mois de
bonheur, de répit, en famille... et je suis nommé à Tlemcen, au 6e B.T.A.
(Bataillon de tirailleurs algériens). Ma famille est toujours avec moi et
le travail ne manque pas : les militaires, bien sûr, et puis les familles
de militaires, en ville (un escadron de gardes mobiles, les anciens
combattants)... et bien souvent quelques vacations à l'hôpital local
équipé d'une maternité qui fonctionne à plein, ce qui n'est pas fait pour
me déplaire... drôle de vocation pour un médecin militaire, ce métier
d'accoucheur !
Pas d'histoire jusqu'en 1950, en juillet exactement. J'étais toujours à
Tlemcen et, comme tant d'officiers de carrière, inscrit au "tour de départ T.O.E. (Théâtre d'opérations extérieures)", c'est-à-dire susceptible de
partir en Indochine, du jour au lendemain. Ma famille n'en savait rien...
et un beau jour, on me convoque chez le médecin-chef de la Place.
Je suis désigné pour un poste au Sahara... El-Goléa
(1)?... Je feuillette un atlas et finis par
trouver un point minuscule sur la carte... au Sud... très au sud d'Alger
(1 200 Km). Cette nouvelle alarme un peu ma femme qui ne peut
m'accompagner immédiatement puisque je dois auparavant faire un stage d'un
mois à Alger... Mais elle se rassure quand elle apprend que j'ai failli
partir beaucoup plus loin... l'Indochine...
Un jour, j'arrive à Alger... et me présente au G.G. (Gouvernement Général)
puisque je suis classé "Hors Cadres" au titre du ministère de l'Intérieur
(2). Le Directeur du Service de Santé des
Territoires du Sud m'apprend que je dois, avant de rejoindre mon poste,
faire un stage à l'Institut Pasteur d'Alger et un stage dans le service
d'ophtalmologie de l'hôpital Mustapha...
Pendant un mois, j'apprends quantité de choses plus indispensables les
unes que les autres sur les moustiques, les phlébotomes (petits
moustiques, vecteurs), les scorpions, les serpents, les ophtalmies et
autres affections oculaires... ainsi que des rudiments d'administration...
car comme tous mes camarades, je vais être livré à moi-même, seul dans mon
nouveau poste... Omnipraticien, bien sûr, omni spécialiste et supposé être
omniscient! A mesure que les cours se succèdent, je me sens de moins en
moins préparé à ce métier particulier que je vais assumer "sans filet"...
Tout SEUL!
Le train me conduit à Blida... changement... voie étroite, et je me
retrouve à Djelfa où, quelques instants plus tard, je me hisse dans un
car, un vrai, qui me conduit à Laghouat. Arrêt de quelques heures ¾
présentation au colonel commandant le Territoire, un peu de repos... et
un autre car m'amène à Ghardaia...
Après une réception fort courtoise à l'"Annexe", qui est le centre
administratif du Territoire, le commandant Gauthier me conseille un peu de
repos, car la prochaine étape risque d'être fatigante ! Déjeuner rapide.
Sieste jusqu'à 16 heures. Et je me mets à la recherche d'un certain Bachir.
Je le trouve vers 18 heures à la terrasse d'un café maure où je déguste
avec lui un excellent thé à la menthe.
Bagages chargés dans un camion civil qui assure la liaison vers El-Goléa,
je m'installe sur la banquette de la cabine. Bachir conduit, un
"graisseur" nous accompagne. Ce dernier est chargé d'aider le chauffeur
dans les tâches les plus pénibles. Nous partons avec quelques musulmans
accrochés sur le chargement qui comprend tout ce qui manque au Sud (blé,
tabac, quincaillerie, outillage, étoffes, etc.) à l'arrière. A cette
époque, faute d'avions réguliers, la route est le seul moyen de
ravitailler les Sahariens.
L'"Escargot" (route escarpée, montant en lacets successifs ne permettant
pas aux véhicules plus ou moins poussifs d'aller bien vite) nous extrait
de la cuvette où se trouve Ghardaia... et nous grimpons une côte qui
paraît ne devoir jamais finir. Le "graisseur" suit, à pied, derrière le
camion, une grosse pierre dans les bras afin de bloquer une roue en cas de
"marche arrière" imprévue : pneu qui éclate, moteur qui cale ou freins qui
lâchent, incidents relativement fréquents avec les véhicules du temps...
Et nous nous hissons, lentement, vers la "Hamada", vaste plateau
caillouteux... et sableux parfois, où la piste ne se distingue que par les
traces laissées par des véhicules qui nous ont précédés. Là, c'est le
règne de la tôle ondulée (3) coupée de nids
de poules, où le châssis du camion geint et hurle sa douleur, tandis que
le moteur s'arrête à demi, s'étouffe un peu, puis repart en rugissant de
tous ses chevaux, suivant la consistance du sable qui nous supporte.
De temps en temps, le moteur s'emballe, les roues tournent à vide et
creusent profondément dans le "Fech Fech", sable pulvérulent qui n'offre
aucune prise aux pneus. Il nous faut alors descendre, prendre les pelles,
placer sur le sol les plaques de tôle qui sont accrochées aux côtés de
tout véhicule prenant la piste... ce qui permet au camion d'avoir prise,
et nous repartons vers une prochaine plaque de sable mou.
Nous faisons court arrêt au Bordj (4) de
Hassi Fahl où un ancien légionnaire "marié" à une musulmane assure la
garde et nous accueille. Menu typiquement saharien : chorba (potage très
parfumé où évoluent quelques fragments de vermicelle), brochettes, bien
sûr... et l'inévitable thé à la menthe. Quelques heures de repos, pendant
que Bachir et son graisseur vérifient l'intégrité du camion. A la nuit
tombée (il fait moins chaud) nous reprenons la piste avec sa tôle ondulée,
ses plaques ensablées, ses cahots qui nous empêchent de dormir.
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