La journée d'un médecin au Sahara ! Dieu seul sait
quand elle commence et quand elle finit. Y a-t-il d'ailleurs des journées
véritables au sens occidental du terme, dans ce pays où le temps ne compte
pas, où l'homme se satisfait encore des trois dimensions fondamentales -
au moins l'autochtone à qui nous essayons d'inculquer des notions qui lui
sont complètement étrangères, comme l'heure, alors qu'il ne connaît qu'un
rythme : celui du soleil.
Donc, schématiquement, chaque matin, à une heure qui varie selon la saison
- très tôt en été, plus tard en hiver -, une foule de consultants attend
devant la porte de l'infirmerie-hôpital, l'ancienne salle d'attente ne
pouvant les contenir tous. Ce terme ambigu à souhait (infirmerie-hôpital)
convient parfaitement aux autochtones, opposés par principe à l'hôpital,
avec ses murs, son toit, son enceinte... eux qui sont tellement habitués à
l'air libre et aux grands espaces. Le maître-infirmier, El-Yazid, assure
le triage avec une compétence instinctive qui a toujours fait mon
admiration - il n'a aucun diplôme, seulement 22 ans de service. Son coup
d'oeil est infaillible et le petit bobo ou la maladie bénigne me seront
épargnés. De cette façon, dans la matinée, j'arrive à voir une centaine de
vrais malades, dont la plupart sont connus de longue date, après avoir
examiné les malades hospitalisés. Les nomades, les Chaambas en
particulier, n'apprécient pas beaucoup l'hospitalisation, eux qui vivent
libres, en plein air, sous la Kheima ou tente en poils de chameau
(1). L'après-midi, souvent après 14 h 30, se
passe en visites à l'extérieur et en travaux de laboratoire, puisque je
dois faire moi-même tous les examens courants : lames de sang pour des
examens (numération formule, vitesse de sédimentation), recherche sur le
paludisme, examens des expectorations - la tuberculose n'est pas rare -,
recherche de gonocoques, de parasites intestinaux et j'en oublie. Tout
ceci, au moyen d'un microscope de bonne qualité, mais "monoculaire",
alors qu'un binoculaire aurait apporté un certain confort visuel.
Le matériel est suffisant, complété a la demande des divers médecins qui
m'ont précédé, puis par moi-même.
Les examens de laboratoire me semblent à la portée de tout médecin, après
un stage à l'Institut Pasteur d'Alger. Ils nous permettaient d'obtenir des
données statistiques et épidémiologiques, transmises chaque mois à la
direction du service de santé à Alger (2).
Deux fois par semaine, sauf urgence (3), je
vais visiter mon annexe d'Hassi El Gara où un aide infirmier assure les
petits soins. J'en profite en général pour faire la "tournée des
moustiques" : la chasse et la localisation de tous les points d'eau
susceptibles de servir de gîte aux anophèles. J'y ferai transporter des
"Gambusias" ou des insecticides suivant que le gîte se révèle permanent ou
non.
Ces Gambusias, véritables requins miniatures d'eau douce, faisant environ
5 centimètres de longueur, originaires d'Amérique mais acclimatés dans de
nombreux étangs et marais des régions tropicales pullulent dans le "Lac
de Bel Aïd", constitué par une fuite d'un puits artésien et les "séguias",
ruisseaux artificiels d'irrigation. Il suffit d'un filet à papillons pour
en récolter un nombre impressionnant (ils sont vivipares, ce qui leur
permet de se reproduire plus sûrement, les oeufs faisant le régal des
grenouilles). Ils se chargeront de détruire tout insecte vivant et en
particulier les larves de moustiques qui vivent dans l'eau.
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(1) Les Chaambas sont les
seigneurs du désert. Nomades, ils n'acceptent aucune autorité. Les
Mozabites sont les marchands, un peu les jansénistes de l'Islam... étant
plus intransigeants que les islamistes... des protestants de l'intégrisme
avant l'heure.
(2) Je n'ai pas à juger de la compétence des
médecins africains, mais à mon époque, ils n'étaient pas (pour la plupart)
docteurs en médecine. Le médecin de brousse n'était souvent qu'un
infirmier formé sur le tas (comme les nôtres). J'ignore s'il y a eu
évolution de leur côté.
(3) Entre le chamelier mordu par son Bahir
(dromadaire), le gosse qui se casse une jambe, les piqûres de scorpions,
l'accès de paludisme pernicieux, l'épine de palmier plantée dans un mollet
ou une fesse, un Moukala (fusil) qui explose au cours d'une fête et autres
babioles car cette liste n'est pas exhaustive, les urgences se suivent
sans nécessairement se ressembler. |