Il nous explique qu'il n'a plus d'eau, qu'il a bien un seau avec une belle corde, mais qu'il n'a pas trouvé le moindre puits. En cherchant dans le lit d'un oued asséché, il a découvert ces "melons" qui lui permettent d'étancher un peu sa soif, en attendant le prochain puits. Non sans difficultés, nous le persuadons de ne pas manger ces "melons" sous peine de graves ennuis gastro-intestinaux. La coloquinte est en effet un purgatif brutal qui pouvait provoquer chez notre énergumène une déshydratation rapide.


Mais nous avons encore plus de mal à lui imposer de faire demi tour, ce dont nous avions parfaitement le droit car nous étions en territoire militaire et tout déplacement devait y être signalé et approuvé, afin de faciliter les recherches éventuelles en cas de problème grave. Enfin, moyennant un "certificat" du chef d'Annexe constatant qu'à ce jour aucune bicyclette n'avait jamais été aussi loin et qu'en conséquence le "record" était bien battu, nous chargeons notre nouveau recordman et son matériel dans la jeep et nous rejoignons Ghardaïa.


Là, nous faisons "homologuer" le record par le commandant du territoire et notre Britannique s'engage à regagner Alger, puis son Albion natale pour y exhiber son beau parchemin, signé et estampillé de multiples cachets plus officiels les uns que les autres.


Mais une autre aventure a bien failli se terminer fort tragiquement.
Nous étions en mai et les journées étaient déjà très chaudes. Les véhicules automobiles évitaient de circuler pendant le jour, les pistes surchauffées provoquant une usure trop rapide des pneumatiques. Les chauffeurs de l'Annexe avaient donc pour consigne de ne rouler qu'entre le coucher et le lever du soleil.


Un beau jour, nous avons vu arriver de Ghadaïa un individu , Français, celui-là , barbu, genre un peu "hippie" avant la lettre, qui nous a raconté, en descendant du camion, qu'il avait l'intention de faire un "raid"... à pied... vers le sud.


Le capitaine Mouret lui donne l'ordre de rester à El-Goléa et de se présenter chaque jour à son bureau, pour éviter toute tentative d'escapade intempestive.


Et, un jour, notre zazou... ne fut pas au rendez-vous ! Volatilisé dans la nature ! Nous avons pensé qu'il était "remonté" vers le nord.


Le lendemain, nous eûmes, à notre grande surprise, la clé de l'énigme.
Le camion du poste était parti chercher du bois dans la forêt, la "Rabah", sorte de forêt plus ou moins fossilisée sur le plateau du Tademaït, à 100 Km environ au sud d'El-Goléa, sur la piste d'In Salah. Le Tademaït était autrefois couvert d'une forêt surtout composée de tamaris. Ces arbres desséchés et en partie fossilisés constituaient une réserve de bois de feu. Les gens venaient donc s'y approvisionner suivant leurs besoins, avec un camion ou un dromadaire, selon leurs moyens.


La journée ayant été moins chaude que prévu, le chargement du bois ayant pris moins de temps que d'habitude, le chauffeur décide, contrevenant aux consignes, de profiter du jour qui décline pour rentrer plus vite. Il roulait lentement sur la piste. Dernière halte à Hassi-Marroket et, dans la lumière du crépuscule, il repart vers El-Goléa, à 50 kilomètres.
Tout à coup, dans les derniers rayons du soleil couchant, il croit discerner une forme allongée le long de la piste. Il s'arrête... et trouve notre "marcheur", comateux mais respirant toujours.
La "guerba" l'arrose généreusement... quelques gouttes coulent lentement entre ses dents et, champignon au plancher, le chauffeur fonce vers le salut : El-Goléa et son hôpital.
Il a fallu trois jours de soins constants, trois jours de perfusion, pour ranimer l'imprudent avant de pouvoir le questionner.


Son ambition ?... Rejoindre In Salah, à 450 kilomètres de là... à pied. Il avait tout prévu ! Et, triomphalement, nous exhibe une carte, qu'on croirait extraite d'un almanach des P.T.T. Une piste balisée de points bleus évocateurs : Hass-Marroket... et la suite.