Le désert en général et le Sahara en particulier, a
toujours exercé une attirance spéciale et, au cours des dernières années,
des compétitions sportives (Rallye Alger-Le Cap entre autres) ont quelque
peu popularisé le Sahara, lui enlevant une partie de cette hostilité qui
était sa meilleure sauvegarde. Puisqu'une course pouvait s'y dérouler sans
incident grave, c'est qu'au fond cela ne devait pas être aussi terrible
qu'on le disait.
Ces Sahariens, tout de même... ne savaient qu'inventer pour préserver leur
territoire de la curiosité publique ! Et chacun de les accuser
d'entretenir soigneusement les légendes de la soif, du vent de sable, de
la "tôle ondulée" et du "fech fech" pour conserver
jalousement le monopole du reg et de l'erg ! Combien en ai-je vu
défiler, de ces modernes explorateurs qui nous arrivaient aussi
décontractés que s'il s'était agi d'un simple pique-nique au bois de
Boulogne et, à la rigueur, au désert de sable d'Ermenonville ! Quelques
uns m'ont laissé des souvenirs précis qui méritent d'être relatés.
Nous étions partis en jeep avec le chef d'Annexe (capitaine Mouret) pour
Ghardaïa à 350 kilomètres environ et avions fait halte à Hassi-Fahl où
nous avions déjeuné en compagnie du gardien du bordj ¾ un ancien
légionnaire marié à une musulmane. Après la sieste, la sacro-sainte ghaila,
nous étions repartis et roulions sur une piste défoncée qui faisait vibrer
toute la carrosserie. Tout à coup, au bord de la piste, nous apercevons
"quelque chose". Ralentissement !... qui provoque l'entrée en
résonance de la suspension (1) et nous
sautons d'un nid de poule à l'autre pour nous arrêter enfin.
Un cyclotouriste est assis au bord de la piste, le vélo couché, harnaché
d'une invraisemblable façon. Son origine britannique ne fait aucun doute,
pas plus que sa monture.
Imaginez un individu blanc, barbu, coiffé d'un magnifique chapeau de
brousse, portant des lunettes solaires à coquilles fermées, un chèche
(2) autour du cou, le tout surmontant un
short typiquement "british" laissant dépasser deux longues jambes
nerveuses, moulées dans des demi-bas kaki clair. Le vélo n'est pas moins
pittoresque. Guidon relevé, entouré d'une longue corde du genre lasso,
soutenant un seau métallique étamé, un seau qui serait tout à fait à sa
place dans une cour de ferme.
Le porte-bagages arrière est surchargé d'un énorme baluchon qui doit bien
peser ses cinquante kilos, enroulé dans une toile de tente. Une roue de
secours surmonte ce "barda" et deux pneus neufs sont ficelés sous
la selle.
Le premier instant de stupeur passé, nous demandons à cet étrange cycliste
quelles étaient ses intentions. Sa réponse nous sidère : "Je suis parti
de Ghardaïa pour battre le "record" avec mon bicyclette".
Nous étions à peu près à 110 kilomètres de la capitale du M'Zab et notre
voyageur continuait imperturbablement à peler un fruit verdâtre. En y
regardant de plus près, nous reconnaissons une coloquinte...
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(1) Sur la tôle ondulée, il suffit de rouler à une certaine vitesse,
qui dépend de l'empattement du véhicule, pour que la suspension n'ait pas
le temps de rappeler les roues au contact de la piste, écrêtant les
ondulations, et la trépidation est ainsi "gommée".
(2)Le chèche est une longue bande de tissu
souple, très utilisé dans les pays chauds. Enroulé en turban sur la tête,
c'est un chapeau de paille. Noué autour du cou, c'est une écharpe
confortable. En masque devant le nez et la bouche, c'est un filtre qui
protège du vent de sable. Placé devant la bouche en plusieurs épaisseurs,
c'est un filtre appréciable pour boire dans les flaques d'eau ou les
oueds, arrêtant les corps étrangers, y compris les sangsues, mais pas les
microbes (il y en a d'ailleurs bien peu qui résistent aux rayons
ultraviolets du soleil saharien). |