A cent cinquante kilomètres d'Adrar, vers le
sud, par la piste impériale (1), se trouve
Reggane, puis la piste continue, toujours plein sud, s'enfonçant dans ce
désert des déserts qui se nomme le Tanezrouft.
Au sud de Reggane, deux postes -sortes de haltes_ jalonnent la piste :
Bidon V et Bordj Le Prieur (2), sorte de
poste frontière avant le Soudan (futur Mali) (3).
Mais, avant d'arriver à Bidon V, à deux cents kilomètres de Reggane, sur
la gauche (vers l'est), commence la piste de Ouallen... nom mystérieux
d'un ancien puits situé au bord d'une ancienne voie de transhumance
utilisée aussi bien par les populations sahariennes que soudanaises, au
temps où les caravanes n'avaient pas encore été supplantées par les
camions. C'était un point d'eau important car unique dans la région, et
donc un point de passage obligé pour les caravanes transsahariennes.
Piste isolée, à quatre-vingt kilomètres de la piste centrale, où personne
ne passait jamais en dehors du vent et des nuées de sauterelles. Mais
Ouallen présentait un intérêt majeur pour la météorologie
(4), fort importante pour les lignes
aériennes survolant le Sahara, de sorte que l'autorité militaire y avait
installé une petite garnison, réduite il est vrai à un sous-officier
radio, un caporal chargé de la météo et deux chameliers musulmans détachés
de la compagnie méhariste du Touat (5).
Ce poste météorologique était parfaitement coupé du monde entier, ne
communiquant avec Colomb-Béchar (devenu Béchar depuis l'indépendance) que
par radio télégraphe. Les méharistes, à tour de rôle, chaque semaine,
allaient relever la boîte à lettres installée en bordure de la piste
principale. Tous les chauffeurs de camions s'y arrêtaient, déposant ou
relevant le courrier, y laissant quelque paquet en réponse à une demande
écrite ou faite par radio.
Inutile de préciser qu'avec ce genre de vie, les hommes n'y duraient pas
longtemps, à Ouallen, et pour éviter le retour de bagarres, ils étaient
relevés tous les six mois, ce qui était parfois trop long pour certains
systèmes nerveux mal équilibrés.
Et de temps en temps, la radio d'Ouallen (en morse ! ) lançait sur les
ondes des messages plus ou moins farfelus, indiquant que le point de
saturation de la solitude était largement atteint : il fallait alors
prévoir une relève anticipée. C'était le plus souvent les deux
spécialistes européens qui donnaient des signes d'une nervosité alarmante.
Cela commençait en général par une vague querelle, se terminant toujours
par un "divorce" complet : chacun mangeant dans son coin, chacun sortant
le soir en tenue de parade dans l'erg, mais vers des points cardinaux
différents. Les méharistes musulmans, plus frustes et sans doute plus
habitués à la solitude, tenaient habituellement plus longtemps.
Un beau soir, à Adrar, la station radio capte un message d'Ouallen,
signalant que le chef de poste est malade. Personne ne s'émeut outre
mesure, et le message est répercuté sur Colomb-Béchar, indiquant qu'il
serait peut-être utile d'envisager une relève du poste d'Ouallen avant la
date prévue.
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