Mais Ouallen rappelle dans la nuit, insistant sur la
maladie du chef de poste ! On vient m'avertir. Alors s'engage un étrange
dialogue en morse entre les deux stations, l'opérateur me traduisant les
réponses à mesure. Imaginez ce discours dans la nuit. J'ignore tout du
morse.
"ti.. ti.. ta.ta.ta... Où a-t-il mal ?
"ti.. ti.. ta.ta.ta... Au ventre.
"ti.. ti.. ta.ta.ta... A-t-il vomi ?
"ti.. ti.. ta.ta.ta... Je vais lui demander -
Silence de trois ou quatre minutes, puis de nouveau :
"ti.. ti.. ta.ta.ta... Non, mais il aurait presque envie.
"ti.. ti.. ta.ta.ta... A-t-il de la fièvre ?
"ti.. ti.. ta.ta.ta... Je vais lui demander -
Silence de cinq bonnes minutes, puis le
"ti.. ti.. ta.ta.ta" reprend : Il a essayé de prendre sa
température, mais il a cassé le thermomètre.
J'abrège ce dialogue hertzien qui menace de durer en vain, annonçant mon
arrivée dans les plus brefs délais, recommandant de ne pas déplacer le
malade et, surtout, de ne pas lui donner cette bouillotte chaude qu'il
réclame. Pas question de glace car il n'y en a pas à Ouallen !
Vers trois heures du matin, je quitte Adrar au volant de ma Land-Rover, en
compagnie d'un "graisseur" musulman. Direction Reggane : cent cinquante
kilomètres de piste. Nous y arrivons au lever du jour. Le capitaine chef
de poste (Gérard Delacommune, Gontran, comme nous l'avons baptisé un soir
à Adrar au cours d'une cérémonie intime, mais mémorable) nous attend avec
un café bien chaud et des nouvelles fraîches de mon malade qui souffre
toujours, mais n'est pas trop mal en point.
Nous faisons le plein de la voiture, plus deux jerrycans. Briefing rapide
sur la carte : la piste est défoncée par endroits et nous aurons avantage
à faire un détour en "tout terrain" à partir du kilomètre 80 jusqu'au
kilomètre 140; la piste d'Ouallen, qui commence au kilomètre 220 est assez
bonne bien que caillouteuse.
Nous piquons donc vers le sud, quittons la piste au kilomètre 80 et
naviguons "à l'estime", repérant au loin les bornes, tous les cinq
kilomètres. Tout à coup, un pneu éclate!
Démontage... roue de secours... et je m'aperçois que, depuis notre départ
d'Adrar elle a perdu quelque peu de sa pression. J'ouvre le coffre à
outils. La pompe à main est inutilisable, démontée par les cahots, son
cylindre est tellement écrasé qu'elle ne peut servir à rien !
Il me faut donc rouler avec cette roue à demi dégonflée. Je repars
doucement, choisissant soigneusement l'endroit où la roue doit passer. Je
n'ai jamais vu autant de cailloux acérés sur ce reg !
Enfin, nous retrouvons la piste, un peu moins hostile. Il n'est pas
question de pause ou de casse-croûte avec cette roue qui se dégonfle tout
doucement. Je sais que la première partie de la piste d'Ouallen est plutôt
rocheuse, la seconde beaucoup plus sableuse, plus accueillante pour mon
pneu défaillant.
Tout se passe bien. Les Dieux sont avec nous. Et voici le petit bordj
d'Ouallen, au bord de sa cuvette de sable. Il est presque midi. Je suis
fourbu, j'ai faim, j'ai soif... mais je m'inquiète de l'état de mon malade
pendant qu'un méhariste prépare le sacro-saint thé à la menthe.
Le malade est plutôt mieux. Il souffre moins, son ventre se défend à
peine, il n'a plus de nausées et un petit 37º. Je décide donc de le
rapatrier par la route jusqu'à Reggane où un avion sanitaire pourra
éventuellement se poser. Le contact radio est maintenu avec Reggane.
Colomb-Béchar suit de loin les opérations.
Mais il faut nous restaurer. Aucun problème... Et il faut réparer cette
roue crevée, car sans roue de secours... Démonte-pneus, emplâtre,
rustine... et nous avons une roue presque neuve... mais toujours à plat !
J'oubliais cette satanée pompe. Nous essayons de la redresser : rien à
faire !
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