Alors, aux grands maux les grands remèdes ! Nous
allons utiliser la bouteille d'air comprimé en réserve à Ouallen. Il nous
faut bientôt déchanter : un grain de sable vicieux a dû se glisser dans un
pas de vis au cours du dernier usage : la bouteille est aussi peu gonflée
que ma roue.
Qu'importe ! Il nous faut au moins rentrer à Reggane et l'air comprimé qui
nous trahit sera remplacé par l'hydrogène destiné aux ballons-sondes de la
météo !
Le premier raccord éclate, faute d'un détendeur adapté. Le second tient
bon et ma roue arrière, ainsi que la roue de secours, retrouve une
pression normale.
Il est dix-huit heures quand nous quittons Ouallen après avoir alerté
Reggane par radio, car il fait très chaud et je préfère attendre le déclin
du soleil pour le confort du malade.
Le voyage de retour se fait, sans incident cette fois (j'ai bien cru un
instant avoir perdu la route dans la nuit) et nous arrivons à Reggane
avant minuit. Après un examen du malade, nous mangeons, puis nous
couchons.
A cinq heures du matin : réveil, café, coup d'oeil rapide au malade qui
parait avoir bien récupéré et les cent cinquante kilomètres qui nous
séparent d'Adrar sont parcourus à une vitesse record. Je couche le malade
à l'hôpital d'Adrar et quelques heures plus tard, profitant d'un avion
régulier, je l'évacue sur Colomb-Béchar, à 400 kilomètres au nord, où le
chirurgien l'opère tranquillement d'une appendicite qui s'est "refroidie"
toute seule, sans glace ni antibiotique.
En ce qui me concerne, j'ai repris mes occupations habituelles.
Mais quelques jours plus tard, j'ai éprouvé une crainte, une peur
rétrospective, quand j'ai vu un ouvrier qui, au garage de l'Annexe,
faisait, au chalumeau, quelques soudures pour consolider un châssis
quelque peu malmené par la tôle ondulée. J'ai soudain pensé à mes deux
roues gonflées à l'hydrogène... deux petites bombes potentielles ! J'ai
expliqué au mécanicien ce que nous avions dû faire. Il m'a regardé, un peu
ironique et effrayé à la fois. Il a enlevé mes deux roues, les a emmenées
loin d'Adrar, les a dégonflées, regonflées, regonflées plusieurs fois,
puis me les a rendues... gonflées d'air cette fois et munies en outre de
chambres à air neuves, ayant préféré brûler les anciennes, juste au cas
où...
J'ai revu le chef de poste d'Ouallen quelques mois plus tard, après une
bonne convalescence. Il regagnait son poste, ravi de cet entr'acte
imprévu. Il repartait à Ouallen en pleine forme et certain de ne plus me
déranger pour un appendice récalcitrant. Sa poignée de main m'a fait
oublier toutes les angoisses que j'avais vécues quelques mois plut tôt et
m'a semblé être ma plus belle récompense.
Des dépannages de fortune de ce calibre n'étaient pas rares au Sahara, où
l'important était surtout de ne pas rester sur la piste, mais de rentrer à
tout prix.
Le système D fonctionnait à merveille : un bouton de culotte en plastique
relié aux bougies par deux fils dénudés formait un éclateur parfait, qui
permettait de brûler l'huile moteur remontant dans le cylindre ovalisé par
le sable.
J'ai aussi vu rentrer à l'Annexe une Jeep dont l'essieu arrière, cassé sur
la piste, avait été remplacé par deux petits troncs d'arbre fixés au
châssis, seul le pont avant tirant la voiture, ainsi transformée en une
sorte de luge pour sable. Et les Sahariens pourraient donner
d'innombrables exemples similaires de débrouillardise.
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