BOUKHECHBA

 

C'est une figure et un personnage ! Son histoire vaut d'être contée et je certifie que tous les détails en sont parfaitement réels, bien qu'incroyables, parfois. Bien d'autres que moi l'ont connu et pourraient en témoigner, y compris le réalisateur du film "Fort Saganne"... à postériori.


Quand je l'ai connu en 1950 à El-Goléa, c'était un beau vieillard : soixante-cinq ou soixante-dix ans... qui l'a jamais su au juste ? Mince, les traits burinés et cuits par le soleil, le cheveu blanc et une barbe encore bien fournie encadrant un visage fin et racé de grand seigneur Chaamba. Sur la poitrine, une belle brochette de décorations qu'il portait toujours "pendantes", le ruban ne lui suffisant sans doute pas. Et, sortant du burnous rouge fièrement rejeté sur l'épaule : un pilon de bois, la Khechba (poutre en arabe) qui lui a valu son surnom. Il devait s'appeler effectivement Mohamed Ben Abdelkader. Ce pilon lui-même a une histoire, authentique, digne de l'homme qui le portait et la voici.


1916 : C'est la Première Guerre mondiale et le brigadier Abdelkader, qui n'est pas encore Boukhechba, fait partie d'un peloton méhariste. Ce peloton s'est engagé profondément dans le "Gassi Touil", la longue brèche, au sud d'Ouargla. Des irréguliers, pillards Touareg en bandes incontrôlées vivant de rapines sur le pays, sont signalés dans le sud, comme d'habitude ! Et puis, c'est ESSEYENE... Le combat (voir le film FORT SAGANNE).


La fusillade éclate entre les deux groupes, Abdelkader reçoit une balle dans la jambe. Pansement sommaire !


Mais, il faut décrocher, les "salopards" sont trop nombreux. Et c'est la retraite pour aller prévenir le P.C. à Ouargla. Les chameaux sont fatigués, les hommes aussi, le voyage est long, entrecoupé de haltes pour retarder l'ennemi. La blessure du brigadier prend mauvaise tournure, puis commence franchement à "sentir" : la gangrène, sans doute ! Il faudrait amputer, mais il n'y a pas de médecin dans le peloton.


Au troisième jour, le lieutenant s'approche d'Abdelkader...

"Il faut te couper la jambe, sinon tu vas mourir !"
 

Caïd Mahmoud - Notable d'El-Goléa

 

"Alors, coupe-la, dit le blessé en sortant son "Bousaadi" personnel (1)de sa djellaba... Il coupe bien".
 

Et le lieutenant, sans aucune formation chirurgicale, pratique à vif (il n'y a pas d'anesthésique dans la trousse d'urgence) cette invraisemblable intervention, comme il le peut. Et la petite troupe rejoint Ouargla au complet, quinze jours après l'accrochage d'Esseyne. Abdelkader n'est pas beau à voir, rongé par la fièvre (le paludisme n'y est pas étranger) mais il vit !
 


(1) Sorte de poignard. Tout "arabe" possédait une telle arme, utilisée comme couteau de poche ou pour égorger le mouton de façon rituelle, le dépecer et le découper. Il était en fait leur couteau de survie avant la lettre, et constituait une arme de combat redoutable dans un corps à corps.