Le Sieur de PORTELANCE

"Sifflée comme Antipater"

 

Le seigneur de Toury, Charles Louis de Portelance avait été désigné Commissaire au bailliage de Montargis lors de l'élaboration des cahiers de plaintes et doléances de la Noblesse. Qui était-il ?

Né en 1732 il prétendait descendre d'une famille distinguée d'Irlande, dépouillée de tous ses biens par Cromwell et son parti (1). Il avait un oncle, chanoine de Saint-Honoré à Paris, grand directeur d'âmes, et médiocrement estimé. Portelance, à l'âge de 19 ans, composa une pièce intitulée Antipater. C'était une tragédie en cinq actes et en vers.
Il allait lire sa pièce dans toute les sociétés de Paris. Suivant l'usage de l'époque, il fut accablé d'éloges, qui l'enorgueillirent tellement qu'il ne voulut écouter aucun conseil, ni faire quelques changements que demandaient ses amis et les comédiens.

La pièce fut jouée le 25 novembre 1751 et universellement .... huée(2). S'il faut en croire les échos, ce fut avec un tel excès qu'elle donna lieu à une espèce de proverbe: lorsqu'on voulait parler d'une pièce très maltraitée du public, on disait qu'elle avait été "sifflée comme Antipater". Cette pièce fut imprimée avec une critique de ... l'auteur, lui-même. "Cette pièce", disait Collé, "n'est pourtant pas médiocre; elle est détestable".

L'auteur se réfugia dans des petits spectacles, et donna au théâtre de la Foire, Totinet parodie de Tithon et l'Aurore(3): encore avait-il pour collaborateur Poinsinet, auteur dramatique né à Fontainebleau en 1735.

Ce ne sont pas ces "oeuvres" qui l'amenèrent à faire fortune, fortune qui lui permettra d'acquérir vers 1776, le château, chapelle et dépendances de Toury après le décès du comte de Sampigny.

Une riche veuve que ses succès de société avaient séduite, l'épousa, et le fit son héritier. A l'occasion de la succession, il eut à soutenir un procès contre un nommé Tranel, qui avait pris pour avocat le célèbre Linguet (4). Le sieur de Portelance plaida lui-même sa cause en 1773 et gagna semble-t-il puisqu'il acheta Toury.

Nous le trouvons à Nargis de 1776 à 1793. Il vit épisodiquement dans un château en fort mauvais état, avec sa nouvelle épouse Charlotte Marguerite Françoise Saleney, et au moment de la révolution avec sa fille Anne Charlotte Marguerite et son gendre Henry Philippe Jean Baptiste Ségur. Il se retira vers 1793, au château de Montaseau et il était aveugle depuis longtemps lorsqu'il finit sa carrière en 1821.

Quelques dictionnaires historiques le font mourir le 19 décembre 1779. Ersch dans sa "France littéraire" mit à l'article de Portelance, la date et la mort de l'abbé de La Porte dont l'article précédait. Différents ouvrages suivants répétèrent cette faute. En 1780, il rédigea un "Mémoire" qui eut beaucoup de succès.

Portelance donne des signes de vie en 1810, contestant le titre de "doyen des poètes tragiques " que s'était attribué Ximénès qui selon les dires de Portelance n'avait été sifflé, pour sa pièce "Epicharis ", que le 2 janvier 1753, soit treize mois après lui. Quelle référence peu glorieuse.

Parmi ses ouvrages, on retiendra un poème "le Temple de la Mémoire ", une comédie en trois actes et en vers libres "A Trompeur trompeur et demi ", représentée et imprimée à Manheim.

Le chevalier de Mouhy lui attribue plusieurs autres pièces jouées à l'Opéra-Comique et en province, qui y ont été fort accueillies. Ces ouvrages s'ils existent ou s'ils ont existé, ne procurèrent pas une grande gloire à leur auteur. Mais il est nommé une fois dans le second chant de "la Dunciade ou la Guerre des sots" de Palissot (5) et c'est peut-être là son plus grand titre à l'immortalité.
 


(1) Biographie Universelle (Tome 35) Paris chez L.G. Michaud libraire éditeur 1823.
(2) Pelée de Varennes Marie Joseph Hypolite, Receveur des finances à Montargis fut guillotiné le 7 avril 1794 à Paris âgé de 50 ans. En 1768, dans son manuscrit sur l'histoire du Gâtinais, actualisant l'histoire du Gâstinois de Dom Morin, il cite le sieur de Portelance et son "Antipater".
(3) Héros troyen. Zeus lui accorda l'immortalité, mais sans lui donner une jeunesse éternelle et il se ratatina indéfiniment jusqu'à ce que l'Aurore, son épouse, le changeât en cigale.
(4) Publiciste français (1736-1794) . Il a publié les Annales politiques, civiles et littéraires et les Mémoires sur la Bastille. Il fut exécuté sous la Terreur.
(5) Charles Palissot de Montenoy, écrivain français (1730-1814) fut un adversaire acharné des philosophes et des encyclopédistes au point de les tourner en ridicule dans sa comédie " les Philosophes" en 1760 et dans "la Dunciade ou la Guerre des Sots " poème en dix chants en 1764. Le fait pour le sieur de Portelance de se voir "chanté" dans cet ouvrage, au titre révélateur, n'est pas à l'honneur de notre seigneur de Toury.